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Des siècles à venir ces vivantes images
Rassemblent tous les lieux, devancent tous les âges.
Tous les jours des humains, comptés avant les temps,
Aux yeux de l’Éternel à jamais sont présents.
Le Destin marque ici l’instant de leur naissance,
L’abaissement des uns, des autres la puissance,
Les divers changements attachés à leur sort,
Leurs vices, leurs vertus, leur fortune, et leur mort.
« Approchons-nous : le ciel te permet de connaître
Les rois et les héros qui de toi doivent naître.
Le premier qui paraît, c’est ton auguste fils[1] :
Il soutiendra longtemps la gloire de nos lis,
Triomphateur heureux du Belge et de l’Ibère ;
Mais il n’égalera ni son fils ni son père. »
Henri, dans ce moment, voit sur des fleurs de lis
Lieux mortels orgueilleux auprès du trône assis :
Ils tiennent sous leurs pieds tout un peuple à la chaîne ;
Tous deux sont revêtus de la pourpre romaine ;
Tous deux sont entourés de gardes, de soldats :
Il les prend pour des rois… « Vous ne vous trompez pas ;
Ils le sont, dit Louis, sans en avoir le titre ;
Du prince et de l’État l’un et l’autre est l’arbitre.
Richelieu, Mazarin, ministres immortels,
Jusqu’au trône élevés de l’ombre des autels,
Enfants de la Fortune et de la Politique,
Marcheront à grands pas au pouvoir despotique.
Richelieu, grand, sublime, implacable ennemi ;
Mazarin, souple, adroit, et dangereux ami :
L’un[2], fuyant avec art, et cédant à l’orage ;
L’autre aux flots irrités opposant son courage ;
Des princes de mon sang ennemis déclarés ;
Tous deux haïs du peuple, et tous deux admirés ;
Enfin, par leurs efforts, ou par leur industrie,
Utiles à leurs rois, cruels à la patrie.

  1. Louis XIII.
  2. Le cardinal Mazarin fut obligé de sortir du royaume en 1651, malgré la reine régente, qu'il gouvernait; mais le cardinal de Richelieu se maintint toujours, malgré ses ennemis, et même malgré le roi, qui était dégoûté de lui. (Note de Voltaire, 1730.)