Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome8.djvu/161

Cette page n’a pas encore été corrigée

Lui dicta cependant sa perfide harangue.
« Souffrez, dit-il, grand roi, que ma timide voix
S’adresse au Dieu puissant qui fait régner les rois ;
Permettez, avant tout, que mon cœur le bénisse
Des biens que va sur vous répandre sa justice.
Le vertueux Potier, le prudent Villeroi[1],
Parmi vos ennemis vous ont gardé leur foi ;
Harlay[2], le grand Harlay, dont l’intrépide zèle
Fut toujours formidable à ce peuple infidèle,
Du fond de sa prison réunit tous les cœurs,
Rassemble vos sujets, et confond les ligueurs.
Dieu, qui, bravant toujours les puissants et les sages,
Par la main la plus faible accomplit ses ouvrages,
Devant le grand Harlay lui-même m’a conduit.
Rempli de sa lumière, et par sa bouche instruit,
J’ai volé vers mon prince, et vous rends cette lettre
Qu’à mes fidèles mains Harlay vient de remettre.
Valois reçoit la lettre avec empressement.
Il bénissait les cieux d’un si prompt changement :
« Quand pourrai-je, dit-il, au gré de ma justice,
Récompenser ton zèle, et payer ton service ? »
En lui disant ces mots, il lui tendait les bras :
Le monstre au même instant tire son coutelas,
L’en frappe, et dans le flanc l’enfonce avec furie.
Le sang coule : on s’étonne, on s’avance, on s’écrie ;
Mille bras sont levés pour punir l’assassin :
Lui, sans baisser les yeux, les voit avec dédain ;
Fier de son parricide, et quitte envers la France,
Il attend à genoux la mort pour récompense :
De la France et de Rome il croit être l’appui ;
Il pense voir les cieux qui s’entr’ouvrent pour lui,

  1. Potier, président du parlement, dont il est parlé ci-devant, p. 124.

    Villeroi, qui avait été secrétaire d'État sous Henri III, et qui avait pris le parti de la Ligue, pour avoir été insulté en présence du roi par le duc d'Epernon. (Note de Voltaire, 1730.)
  2. Achille de Harlay, qui était alors gardé à la Bastille par Bussi-Le-Clerc. Jacques Clément présenta au roi une lettre de la part de ce magistrat. On n'a point su si la lettre était contrefaite ou non (Id., 1730) : c'est ce qui est étonnant dans un fait de cette importance; et c'est ce qui me ferait croire que la lettre était véritable, et qu'on l'aurait surprise au président de Harlay : autrement on aurait fait sonner bien haut cette fausseté contre la Ligue. (Id,, 1741.)