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Thémis résistait seule à la contagion ;
La soif de s’agrandir, la crainte, l’espérance,
Rien n’avait dans ses mains fait pencher sa balance ;
Son temple était sans tache, et la simple Équité
Auprès d’elle, en fuyant, cherchait sa sûreté.
Il était dans ce temple un sénat vénérable,
Propice à l’innocence, au crime redoutable,
Qui, des lois de son prince et l’organe et l’appui,
Marchait d’un pas égal entre son peuple et lui.
Dans l’équité des rois sa juste confiance
Souvent porte à leurs pieds les plaintes de la France :
Le seul bien de l’État fait son ambition ;
Il hait la tyrannie et la rébellion ;
Toujours plein de respect, toujours plein de courage,
De la soumission distingue l’esclavage ;
Et, pour nos libertés toujours prompt à s’armer,
Connaît Rome, l’honore, et la sait réprimer[1].
Des tyrans de la Ligue une affreuse cohorte
Du temple de Thémis environne la porte :
Bussi les conduisait ; ce vil gladiateur,
Monté par son audace à ce coupable honneur,
Entre, et parle en ces mots à l’auguste assemblée
Par qui des citoyens la fortune est réglée :
« Mercenaires appuis d’un dédale de lois,
Plébéiens, qui pensez être tuteurs des rois,
Lâches, qui dans le trouble et parmi les cabales
Mettez l’honneur honteux de vos grandeurs vénales ;
Timides dans la guerre, et tyrans dans la paix,
Obéissez au peuple, écoutez ses décrets.
Il fut des citoyens avant qu’il fût des maîtres.
Nous rentrons dans les droits qu’ont perdus nos ancêtres.
Ce peuple fut longtemps par vous-même abusé ;
Il s’est lassé du sceptre, et le sceptre est brisé[2].
Effacez ces grands noms qui vous gênaient sans doute,
Ces mots de plein pouvoir, qu’on hait et qu’on redoute :
Jugez au nom du peuple ; et tenez au sénat,

  1. Cette peinture du parlement ne ressemble guère à celle que Voltaire fera quarante ans plus tard. (G. A.)
  2. Vers qui furent populaires en 1789 et 1792. (G. A.)