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Donne aux soldats l’exemple, et le reçoit de lui ;
Il soutient les travaux, il brave les alarmes.
La peine a ses plaisirs, le péril a ses charmes.
Tous les chefs sont unis, tout succède à leurs vœux ;
Et bientôt la Terreur, qui marche devant eux,
Des assiégés tremblants dissipant les cohortes,
À leurs yeux éperdus allait briser leurs portes.
Que peut faire Mayenne en ce péril pressant ?
Mayenne a pour soldats un peuple gémissant.
Ici, la fille en pleurs lui redemande un père ;
Là, le frère effrayé pleure au tombeau d’un frère[1].
Chacun plaint le présent, et craint pour l’avenir ;
Ce grand corps alarmé ne peut se réunir.
On s’assemble, on consulte, on veut fuir ou se rendre,
Tous sont irrésolus, nul ne veut se défendre :
Tant le faible vulgaire, avec légèreté,
Fait succéder la peur à la témérité !
Mayenne, en frémissant, voit leur troupe éperdue :
Cent desseins partageaient son âme irrésolue,
Quand soudain la Discorde aborde ce héros,
Fait siffler ses serpents, et lui parle en ces mots[2] :
« Digne héritier d’un nom redoutable à la France,
Toi qu’unit avec moi le soin de ta vengeance,
Toi, nourri sous mes yeux et formé sous mes lois,
Entends ta protectrice, et reconnais ma voix.
Ne crains rien de ce peuple imbécile et volage,
Dont un faible malheur a glacé le courage ;
Leurs esprits sont à moi, leurs cœurs sont dans mes mains.
Tu les verras bientôt, secondant nos desseins,
De mon fiel abreuvés, à mes fureurs en proie,
Combattre avec audace, et mourir avec joie.
La Discorde aussitôt, plus prompte qu’un éclair,
Fend d’un vol assuré les campagnes de l’air.

  1. Dans l’Art poétique de Boileau, chant IV, vers 4 et 5, il y a :
    Là, le fils orphelin lui redemande un père;
    Ici, le frère pleure un frère empoisonné.
  2. Boileau a dit, dans le Lutrin, chant I, vers 42 :
    Fait siffler ses serpents, l'excite à la vengeance.