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Le souffrit lâchement, et s’en vengea de même.
« Bientôt ce bruit affreux se répand dans Paris.
Le peuple épouvanté remplit l’air de ses cris.
Les vieillards désolés, les femmes éperdues,
Vont du malheureux Guise embrasser les statues.
Tout Paris croit avoir, en ce pressant danger,
L’Église à soutenir, et son père à venger.
De Guise, au milieu d’eux, le redoutable frère,
Mayenne, à la vengeance anime leur colère ;
Et, plus par intérêt que par ressentiment,
Il allume en cent lieux ce grand embrasement.
« Mayenne[1], dès longtemps nourri dans les alarmes,
Sous le superbe Guise avait porté les armes.
Il succède à sa gloire, ainsi qu’à ses desseins ;
Le sceptre de la Ligue a passé dans ses mains.
Cette grandeur sans borne, à ses désirs si chère,
Le console aisément de la perte d’un frère[2] :
Il servait à regret, et Mayenne aujourd’hui
Aime mieux le venger que de marcher sous lui.
Mayenne a, je l’avoue, un courage héroïque ;
Il sait, par une heureuse et sage politique,
Réunir sous ses lois mille esprits différents,
Ennemis de leur maître, esclaves des tyrans :
Il connaît leurs talents, il sait en faire usage ;
Souvent du malheur même il tire un avantage.
Guise avec plus d’éclat éblouissait les yeux,
Fut plus grand, plus héros, mais non plus dangereux.
Voilà quel est Mayenne, et quelle est sa puissance.
Autant la Ligue altière espère en sa prudence,
Autant le jeune Aumale[3], au cœur présomptueux,

  1. Le duc de Mayenne, frère puîné du Balafré, tué à Blois, avait été longtemps jaloux de la réputation de son aîné. Il avait toutes les grandes qualités de son frère, à l'aciivité près. (Note de Voltaire, 1730.)
  2. On lit dans la grande histoire de Mézeray que le duc de Mayenne fut soupçonné d'avoir écrit une lettre au roi, où il l'avertissait de se défier de son frère. Ce seul soupçon suffit pour autoriser le caractère qu'on donne ici au duc de Mayenne, caractère naturel à un ambitieux, et surtout à un chef de parti, (Id., 1723.)
  3. Le chevalier d'Aumale, frère du duc d'Aumale, de la maison de Lorraine, jeune homme impétueux, qui avait des qualités brillantes, qui était toujours à la tête des sorties pendant le siège de Paris, et inspirait aux habitants sa valeur et sa confiance. (Id., 1730.)