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ACTE I, SCÈNE IV. 549

bien, si vous avez la générosité de me donner dix mille francs (Le comte se lève et passe à l’extrême gauche) Une fois payés. Vous y gagneriez encore, et vous me tireriez d’un I)ien cruel embarras ; je vous aurais la plus sensible obligation.

LE COMTE, allant au foml.

Ilolà ! hé ! ma chaise est-elle prête ? Chonchon, vous voyez bien ([ue je n’ai pas le temps de parler d’affaires. Julie aura dîné ; il faut que j’arrive.

LE CHEVALIER.

Quoi ! vous n’opposez à des prières dont je rougis que cette indifférence insultante dont vous m’accablez !

LE C M T E, se rasseyant à gauche.

3Iais, Chonchon, mais, en \érité, vous n’y pensez pas ! Vous ne savez pas combien un seigneur a de peine à vivre à Paris, combien coûte un berlingot ; cela est incroyable, foi de seigneur ; on ne peut pas voir le bout de l’année.

LE CHEVALIER.

Vous m’abandonnez donc !

LE COMTE,

Vous avez voulu vivre comme moi, cela ne vous allait pas ; il est bon que vous pâtissiez un peu.

LE CHEVALIER.

Vous me mettez au désespoir, et vous vous repentirez d’avoir si peu écouté la nature.

LE COMTE.

Mais la nature, la nature, c’est un beau mot, Chonchon, inventé par les pauvres cadets ruinés pour émouvoir la pitié des aînés qui sont sages. La nature vous avait donné une honnête légitime, et elle ne m’ordonne pas d’être un sot parce que vous avez été un dissipateur.

L E c H E V A L I E R.

Vous me poussez à bout. Eh bien ! puisque la nature se tait dans vous, elle se taira dans moi, et j’aurai du moins le plaisir de vous dire que vous êtes le plus grand fat de la terre, le plus indigne de votre fortune, le cœur le plus dur, le plus…

LE COMTE.

Mais, fou, que cela est vilain de dire des injures ! Cela sent son homme de garnison. Mon Dieu, vous êtes loin d’avoir les airs de la cour.

LE CHEVALIER.

Le sang-froid de ce barbare-là me désespère. Poltron, rien ne t’émeut.

LE COMTE.

Tu t’imagines donc que tu es brave parce que tu es en colère ?

LE CHEVALIER.

Je n’y peux plus tenir, et si tu avais du cœur…

LE COMTE, se levant.

Ah ! ah ! ah ! foi de seigneur, cela est plaisant. Tu crois que moi, (jui ai soixante mille livres de rente et qui suis près d’épouser M" de la Cochonniè re avec cinq cent mille francs, je serais assez fou pour me battre contre