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DISSERTATION

DU TRADUCTEUR

SUR VHÈRACLIUS DE CALDERON.

Quiconque aura eu la patience de lire cet extravagant ouvrage y aura vu aisément irrégularité de Shakespeare, sa grandeur et sa bassesse, des traits de génie aussi forts, un comique aussi dé- placé, une enflure aussi bizarre, le même fracas d’action et de moments intéressants.

La grande différence entre VlUradius de Calderon et le Jules César de Shakespeare, c’est que VHcracUvs espagnol est un roman moins vraisemblable que tous les contes des Mille et une Nuits, fondé sur l’ignorance la plus crasse de l’histoire, et rempli de tout ce que l’imagination effrénée peut concevoir déplus absurde. La pièce de Shakespeare, au contraire, est un tableau vivant de l’histoire romaine depuis le premier moment de la conspiration de Brutus jusqu’à sa mort. Le langage, à la vérité, est souvent celui des ivrognes du temps de la reine Elisabeth ; mais le fond est toujours vrai, et ce vrai est quelquefois sublime.

Il y a aussi des traits sublimes dans Calderon ; mais presque jamais de vérité, ni de vraisemblance, ni de naturel. Nous avons beaucoup de pièces ennuyeuses dans notre langue, ce qui est encore pis ; mais nous n’avons rien qui ressemble à cette démence barbare.

Il faudrait avoir les yeux de l’entendement bien bouchés pour ne pas apercevoir dans ce fameux Calderon la nature abandonnée à elle-même. Une imagination aussi déréglée ne peut être copiste, et sûrement il n’a rien pris ni pu prendre de personne.

On m’assure d’ailleurs que Calderon ne savait pas le français, et qu’il n’avait même aucune connaissance du latin ni de l’histoire. Son ignorance paraît assez quand il suppose une reine de Sicile du temps de Phocas, un duc de Calabre, des fiefs de l’empire, et surtout quand il fait tirer du canon.