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492 LA CO : \IKDIE FAMEUSE.

qui me fait parler ainsi ; il faut bien faire des compliuicutsàun tyran. » La musique recommence alors, et on répète que Pliocas est venu en Sicile par un heureux liasard. L’empereur Phocas prend alors la parole, et fait ce récit, qui, comme on voit, est très à propos :

II est l)ioii force que je vienne ici, belle Cintia, dans une heure Ibrliiiu’e ; car j’y trouve des applaudissements, et je pouvais y entendre des injures. Je suis né en Sicile, comme vous savez ; et, quoique couronné de tant de lauriers, j’ai craint qu’en voulant revoir les montagnes qui ont été mon berceau, je ne trouvasse ici plus d’opposition que de fêtes, attendu que personne n’est aussi heureux dans sa patrie que chez les étrangers, surtout quand il revient dans son pays après tant d’années d’absence.

Mais voyant que vous êtes politique et avisée, et que vous me recevez si bien dans votre royaume de Sicile, je vous donne ici ma parole, Cintia, que je vous maintiendrai en paix chez vous, et que je n’étancherai ni sur vous ni sur la Sicile la soif hydropique de sang de mon superbe héritage ; et afin que vous sachiez qu’il n’y a jamais eu de si grande clémence, et que personne jusqu’à présent n’a joui d’un tel privilège, écoutez attentivement.

J’ai la vanité d’avouer que ces montagnes et ces bruyères m’ont donné la naissance, et que je ne dois qu’à moi seul, non à un sang illustre, les grandeurs où je suis monté. Avorton de ces montagnes, c’est grâce à ma grandeur que je suis revenu. Vous voyez ces sommets du mont Etna dont le feu et la neige se disputent la cime ; c’est là que j’ai été nourri, comme je vous l’ai dit ; je n’y connus point de père, je ne fus entouré que de serpents ; le lait des louves fut la nourriture de mon enfance ; et dans ma jeunesse, je ne mangeai que des herbes. Élevé comme une brute, la nature douta longtemps si j’étais homme ou bête, et résolut enfin, en voyant que j’étais l’un et l’autre, de me faire commander aux hommes et aux bêtes. Mes premiers vassaux furent les griffes des oiseaux, et les armes des hommes contre lesquels je combattis : leurs corps me servirent de viande, et leurs peaux de vêtements.

Comme je menais cette belle vie, je rencontrai une troupe de bandits qui, poursuivis par la justice, se retiraient dans les épaisses forêts de ces montagnes, et qui y vivaient de rapine et de carnage. Voyant que j’étais une brute raisonnable, ils me choisirent pour leur capitaine : nous mîmes à contribution le plat pays ; mais bientôt, nous élevant à de plus grandes entreprises, nous nous emparâmes de quelques villes bien peuplées ; mais ne parlons pas des violences que j’exerçai. Votre père régnait alors