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OBSERVATIONS SUR LE JULES CÉSAR. 483

la même fijrandeur, des traits d’imagination pareils, la même enflure, des grossièretés toutes semblables ; des inconséquences aussi frappantes, et le même mélange du béguin de (lilles et du cothurne de Sophocle,

Certainement l’Espagne et TAngleterre ne se sont pas donné le mot pour applaudir pendant près d’un siècle à des pièces qui révoltent les auti-es nations. Rien n’est plus opposé d’ailleurs que le génie anglais et le génie espagnol. Pourquoi donc ces deux nations différentes se réunissent-elles dans un goût si étrange ? Il faut qu’il y en ait une raison, et que cette raison soit dans la nature.

Premièrement, les Anglais, les Espagnols, n’ont jamais rien connu de mieux ; secondement, il y a un grand fonds d’intérêt dans ces pièces si bizarres et si sauvages. J’ai vu jouer le César de Shakespeare, et j’avoue que, dès la première scène, quand j’entendis le tribun reprocher à la populace de Rome son ingratitude envers Pompée, et son attachements César, vainqueur de Pompée, je commençai à être intéressé, à être ému. Je ne vis ensuite aucun conjuré sur la scène qui ne me donnât de la curiosité ; et, malgré tant de disparates ridicules, je sentis que la pièce m’attachait.

Troisièmement, il y a beaucoup de naturel ; ce naturel est souvent bas, grossier et barbare. Ce ne sont point des Romains qui parlent ; ce sont des campagnards des siècles passés qui conspirent dans un cabaret ; et César, qui leur propose de boire bouteille*, ne ressemble guère à César. Le ridicule est outré, mais il n’est point languissant ; des traits sublimes y brillent de temps en temps comme des diamants répandus sur de la fange.

J’avoue qu’en tout j’aimais mieux encore ce monstrueux spectacle que de longues confidences d’un froid amour, ou des raisonnements de politique encore plus froids.

Enfin une quatrième raison, qui, jointe aux trois autres, est d’un poids considérable, c’est que les hommes, en général, aiment le spectacle ; ils veulent qu’on parle à leurs yeux : le peuple se plaît à voir des cérémonies pompeuses, des objets extraordinaires, des orages, des armées rangées en bataille, des épées nues, des combats, des meurtres, du sang répandu ; et beaucoup de grands, comme on l’a déjà dit-, sont peuple. Il faut avoir l’esprit

t. Acte II, scène vu : voyez page 475.

2. Je n’ose affirmor que Voltaire entende parler de ce qu’il a dit dans sa Dissertation sur la tragédie, en tête de Sémiramis. Voj\ t. III du Théâtre, page 500. (B.)