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AVERTISSEMENT

DU ÏIIADLCTEUR.

Ayant entendu souvent comparer Corneille et Shakespeare, j’ai cru convenable de faire voir la manière différente qu’ils emploient l’un et l’autre dans les sujets qui peuvent avoir quelque ressemblance : j’ai choisi les premiers actes de la Mort de César, où l’on voit une conspiration comme dans Cinna^, et dans lesquels il ne s’agit que d’une conspiration jusqu’à la fin du troisième acte. Le lecteur pourra aisément comparer les pensées, le style, et le jugement de Shakespeare, avec les pensées, le style et le jugement de Corneille, C’est aux lecteurs de toutes les nations de prononcer entre l’un et l’autre. Un Français et un Anglais seraient peut-être suspects de quelque partialité. Pour bien instruire ce procès, il a fallu faire une traduction exacte. On a mis en prose ce qui est en prose dans la tragédie de Shakespeare ; on a rendu en vers blancs ce qui est en vers blancs, et presque toujours vers pour vers ; ce qui est familier et bas est traduit avec familiarité et avec bassesse. On a taché de s’élever avec l’auteur quand il s’élève ; et lorsqu’il est enflé et guindé, on a eu soin de ne l’être ni plus ni moins que lui.

On peut traduire un poète en exprimant seulement le fond de ses pensées ; mais, pour le bien faire connaître, pour donner une idée juste de sa langue, il faut traduire non-seulement ses pensées, mais tous les accessoires. Si le poète a employé une métaphore, il ne faut pas lui substituer une autre métaphore ; s’il se sert d’un mot qui soit bas dans sa langue, on doit le rendre par un mot qui soit bas dans la nôtre. C’est un tableau dont il faut copier exactement l’ordonnance, les attitudes, le coloris, les

1. C’était à la suite de Cinnn que, dans ses éditions du Théâtre de P. Corntille, Voltaire avait donné la traduction do Jtdes César.