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À LAC À DEMIE FRANÇAlSIv ; }33

était accoutumée à cette mélodie enchanteresse qu’on ne trouve, parmi tons les traj^iquos de l’Europe, que chez Racine seul, alors M’"" Montagne changerait de sentiment.

« L’Achille de Hacine, dit-elle S ressemble à un jenne aniaiil qui a du courage : et pourtant VIphujènie est une des nioillenres tragédies françaises, » Je lui dirais : Et pourtant, madame, elle est un chef-d’œuvre qui honorera éternellement ce beau siècle de Louis XIV, ce siècle notre gloire, notre modèle, et notre désespoir. Si nous avons été infligés contre M""-’de Sévigné, qui écrivait si bien et qui jugeait si mal ; si nous sommes révoltés de cet esprit misérable de parti, de cette aveugle prévention qui lui fait dire que <(la mode d’aimer Racine passera comme la mode du calé- », jugez, madame, combien nous devons être affligés qu’une personne aussi instruite (|ue vous ne rende pas justice à l’extrême mérite d’un si grand homme. Je vous le dis, les yeux encore mouillés des larmes d’admiration et d’attendrissement que la centième lecture d’I/ihigènic vient de m’arracher.

Je dois ajouter à cet extrême mérite d’émouvoir pendant cinq actes, le mérite plus rare, et moins senti, de vaincre pendant cinq actes la difficulté de la rime et de la mesure, au point de ne pas laisser échapper une seule ligne, un seul mot qui sente la moindre gêne, quoiqu’on ait été continuellement gêné. C’est à ce coin que sont marqués le peu de bons vers que nous avons dans notre langue. M"" Montagne compte pour rien cette difficulté surmontée. xMais, madame, oubliez-vous qu’il n’y a jamais eu sur la terre aucun art, aucun amusement même où le prix ne fiit attaché à la difficulté ? ]\e cherchait-on pas dans la plus haute antiquité à rendre difficile l’explication de ces énigmes que les rois se proposaient les uns aux autres ? N’y a-t-il pas eu de très-grandes difficultés à vaincre dans tous les jeux de la Grèce, depuis le disque jusqu’à la course des chars ? Nos tournois, nos carrousels, étaient-ils si faciles ? Que dis-je, aujourd’hui, dans la molle oisiveté où tous les grands perdent leurs journées, depuis Pétersbourg jusqu’à Madrid, le seul attrait qui les pique dans leurs misérables jeux de cartes, n’est-ce pas la difficulté de la combinaison, sans quoi leur âme languirait assoupie ?

Il est donc bien étrange, et jose dire bien barbare, de vouloir

1. Page 46 de la traduction française. (B.)

2. Cette plirase ne se trouve pas dans les Lettres de M""" de Sévigné. Elle peut avoir tenu ce propos ; on peut le lui avoir prête. Rien ne prouve que Voltaire en soit l’inventeur. (B.)