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328 LETTRK DK M. DE VOLTAIRE

dans les sermons mêmes, dans les oraisons fnnèbrcs, les oratenrs ont souvent employé les tours de phrase de cet élégant écrivain, ses expressions pittoresques, vciixi (luihus (lebercni lu/fiiiK Cheminais, Massillon, ont été célèbres, riiii pendant quelque temps, l’autre i)oui- toujours, par limitation du style de Racine. Ils se ser\aient do ses armes pour combattre en public un genre de

mont (les véritables beaux vers que débite Andromaque, dans une situation encore plus douloureuse que celle do Cornclie [Andromaque, IV, i] :

Je confie à tes soins mon unique trésor. Si tu vivais pour moi, vis pour le fils d’Hector… Fais connaître à mon fils les héros de sa race ; Autant que tu pourras conduis-le sur leur trace : Dis-lui par quels exploits leurs noms ont éclaté : Plutôt ce qu’ils ont fait que ce qu’ils ont été… Qu’il ait de ses a’ieiix un souvenir modeste : 11 est du sang d’Hector, mais il en est le reste ; Et pour ce reste enfin, j’ai moi-même, en un jour, Sacrifié mon sang, ma haine, et mon amour.

Les hommes de cabinet, qui réfléchissent, qui ont une sensibilité si fine et si juste, les gens de lettres les plus gâtés par un vain savoir, les barbares mêmes des écoles, tous s’accordent à reconnaître l’extrême beauté de ces vers si simples d’Andromaque. Cependant pourquoi cotte beauté n’a-t-elle jamais été applaudie par le parterre ?

Cet homme de bon sons et de bonne foi me répondit : Quand nous battions des mains au clinquant do Cornolie, nous étions des écoliers élevés par des pédants » toujours idolâtres du faux merveilleux en tout genre. Nous admirions les vers ampoulés, comme nous étions saisis de vénération à l’aspect du saint Christoplio de Notre-Dume. Il nous fallait du gigantesque. À la fin nous nous aperçûmes à la vérité que ces figures colossales étaient bien mal dessinées ; mais enfin elles étaient colossales, et cela suffisait à notre mauvais goût.

Les vers que vous me citez de Racine étaient parfaitement écrits ; ils respiraient la bienséance, la vérité, la modestie, la mollesse élégante : nous le sentions ; mais la modestie et la bienséance ne transportent jamais lame. Donnez-moi une grosse actrice d’une physionomie frappante, qui ait une voix forte, qui soit bien impé- rieuse, bien insolente, qui jarle à César comme à un petit garçon, qui accompagne ses discours injurieux d’un geste méprisant, et qui surtout termine son couplet par un grand éclat de voix, nous applaudirons encore ; et si vous êtes dans le parterre, vous battrez peut-être des mains avec nous ; tant l’homme est subjugué par ses organes et par l’exemple.

De pareils prestiges peuvent durer’un siècle entier ; et l’aveuglement le plus absurde a quelquefois duré plusieurs siècles.

Quant à certaines prétendues tragédies écrites en vers allo])roges ou vandales, que la cour et la ville ont élevées jusqu’au ciel avec des transports inouïs, et qui sont ensuite oubliées pour jamais, il ne faut regarder ce délire que comme uno maladie passagère qui attaque une nation, et qui se guérit enfin de soi-même. {Note de Voltaire.)

— Les tragédies en vers allobroges, dont Voltaire parle dans le dernier alinéa de cette note, sont celles de Crébillon qu’on avait tant loué pour rabaisser l’auteur de Mérope. (B.)

1. Voyez, dans la Correspondance, la lettre au duc de La Vallièrc, d’avril ou de mai 1761.