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(iiins los couloirs quo dans les logos. Toute la Comédie, avant la toile levée, s’était avancée sur le bord du théâtre. On s’étouffait jusqu’à l’entrée du parterre, où plusieurs femmes étaient descendues, n’ayant pas pu trouver ailleurs dos places pour voir l’objet de tant d’adorations. J’ai vu le moment où la partie du parterre qui se trouve sous les loges allait se mettre à genoux, désespérant do le voir d’une autre manière. Toute la salle était obscurcie par la poussière qu’excitaient le flux et le reflux de la multitude agitée. Ce transport, cette espèce de délire universel, a duré plus de vingt minutes, et ce n’est pas sans peine que les comédiens ont pu enfin commencer la pièce. »

La tragédie i’iit applaudie d’un bout à l’autre. À peine était-elle achevée que la toile se releva, laissant voir aux spectateurs le buste de Voltaire placé au milieu de la scène, entouré de tous les comédiens, de tous les comparses, qui vinrent, Brizard en tête, déposer, l’un après l’autre, une couronne sur son front. La cérémonie terminée, M’"" Yestris s’avança et eut bien de la peine à faire écouter les vers suivants, que le marquis de Saint-.Marc venait d’improviser :

Aux yeux de Paris cnchanté.

Reçois en ce jour un hommage

Que confirmera d’âge en âge

La sévère postérité.

Non, tu n’as pas besoin d’atteindre au noir rivage Pour jouir des lionneurs de l’immortalité.

Voltaire, reçois la couronne

Que l’on vient de te présenter ;

11 est beau de la mériter

Quand c’est la France qui la donne.

« Ces vers, bien dits, continue M. Desnoiresterres, furent accueillis avec transport. On cria bis ! Il fallut que M"’* Vestris les répétât, et mille copies circulaient en un instant dans toute la salle. Un étranger, jeté au milieu de cette frénésie, se fût cru dans une maison de fous. M"" Fanier, qui avait arraché ces vers à Saint-Marc, baisa le buste avec transport, quand ce fut son tour, et, l’exemple donné, tous ses camarades en firent autant. »

Cette scène indescriptible a été saisie et reproduite par Moreau avec une vérité merveilleuse. « Les loges, l’orchestre, le parquet ont les yeux fixés sur l’auteur d’Irène qui est, dans des proportions microscopiques, d’une ressemblance remarquable : les acteurs, même les moindres, occupent la place où ils se trouvaient alors, dans le costume de leur emploi ’. C’est une page d’histoire anecdotique à laquelle le temps n’a rien ôté de sa valeur. Mais ce (|ue le prospectus d’un marchand d’estampes ne pouvait dire, c’est que l’artiste ne s’est pas borné à cette reproduction fidèle. Ainsi l’on aperçoit le comte d’Artois, le corps à demi hors de sa loge ; vis-à-vis de lui, la duchesse de Chartres et M’"* de Cossé, donnant le signal des applaudisse-

1. Prospectus d’une estampe représentant le couronnement do Voltaire, de Gaucher ; à M"’^ la marquise de Villette, dame de Ferncy- Voltaire (1782).