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2 : 16 rRAG.MKXT DUN DISCOURS

Pour acquérir par là do plus puissants appuis

Qui nie niottraionl plus haut cent fois que je no suis.

On a beaucoup cl troj) Cciil depuis Aristoto sur la tragédie. Les deux grandes règles sont (\uo les personnages intéressent, et (pie les vers soient bons : j’entends d’une bonté propre au sujet. Kcrire en vers pour les faire mauvais est la plus liante de toutes les sottises.

On m’a vingt fois rebattu l(^s oreilles de ce prétendu discours de Pierre Corneille : « Ma pièce est finie ; je n’ai plus que les vers à faire. » Ce propos fut tenu par Ménandre plus de deux mille ans avant Corneille, si nous en croyons Plutarque dans sa question : (c si les Athéniens ont plus excellé dans les armes que dans les lettres ? » Ménandre pouvait à toute force s’exprimer ainsi, parce que des vers de comédie ne sont pas les plus difficiles ; mais dans l’art tragique, la difficulté est presque insurmontable, du moins chez nous.

Dans le siècle passé il n’y ent que le seul P »acine qui écrivit des tragédies avec une pureté et une élégance presque continue ; et le charme de cette élégance a été si puissant que les gens de lettres et de goût lui ont pardonné la monotonie de ses déclarations d’amour, et la faiblesse de quelques caractères, en faveur de sa diction enchanteresse.

Je vois dans l’homme illustre qui le précéda desscènessubllmes dont ni Lope de Véga, ni Calderon, ni Shakespeare, n’avaient même pu concevoir la moindre idée, et qui sont très-supérieures à ce qu’on admira dans Sophocle et dans Euripide ; mais aussi j’y vois des tas de barbarismes et de solécismes qui révoltent, et de froids raisonnements alambiqués qui glacent ; j’y vois enfin vingt pièces entières dans lesquelles à peine y a-t-il un morceau qui demande grâce pour le reste. La preuve incontestable de cette vérité est, par exemple, dans les deux Bcrhiices de Racine et de Corneille. Le plan de ces deux pièces est également mauvais, également indigne du théâtre tragique ; ce défaut même va jus- (lu’au ridicule. Mais par (juelle raison est-il impossible de lire la Bérénice de Corneille ? Par quelle raison est-elle au-dessous des pièces de Pradon, de Riuperoux, de Danchet, de Péchantré, de Pellegrin ? Et d’où vient que celle de Racine se fait lire avec tant de plaisir, cl quelques fadeurs près ? D’où vient qu’elle arrache des larmes ?… C’est que les vers sont bons ; ce mot comprend tout : sentiment, vérité, décence, naturel, pureté de diction, noblesse, force, harmonie, élégance, idées profondes, idées fines, surtout