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DISCOURS HISTOlUnUE ET CRITIQUE. ri\

M. Thomas, dans son discours à rAcadémie S a dit « que les temps d’i^niorance furent toujours les temps dos férocités ». J’aime à répéter des paroles si vraies, dont il vaut mieux être l’écho que le plagiaire.

Transtamare revint en Espagne, une huile dans une main, el l’épée dans l’autre. Il y ranima son parti. Le grand prince INoir était malade à la mort dans Bordeaux ; il ne pouvait plus secourir don Pèdre.

Guesclin fut envoyé une seconde fois en Espagne par le roi Charles V, qui profitait du triste état où le prince Noir était réduit. Ciuesclin prit don Pèdre prisonnier dans la bataille de Montiel, entre Tolède et Séville. Ce fut immédiatement après cette journée que Henri de Transtamare, entrant dans la tente de (iuesclin, où l’on gardait le roi son frère désarmé, s’écria : <(Où

est ce juif, ce fils de p qui se disait roi de Castille ? » et il

l’assassina à coups de poignard.

L’assassin, qui n’avait d’autre droit à la couronne que d’être lui-même ce juif bâtard, titre qu’il osait donner au roi légitime, fut cependant reconnu roi de Castille ; et sa maison a régné toujours en Espagne, soit dans la ligne masculine, soit par les femmes.

11 ne faut pas s’étonner après cela si les historiens ont pris le parti du vainqueur contre le vaincu. Ceux qui ont écrit l’histoire en Espagne et en France n’ont pas été des Tacites ; et M. Horace Walpole, envoyé d’Angleterre en Espagne, a eu l)ien raison de dire dans ses Doutes sur Richard III, comme nous l’avons remarqué ailleurs- : « Quand un roi heureux accuse ses ennemis, tous les historiens s’empressent de lui servir de témoins. » Telle est la faiblesse de trop de gens de lettres ; non qu’ils soient plus lâches et plus bas que les courtisans d’un prince criminel et heureux, mais leurs lâchetés sont durables.

Si quelque vieux leude de Charlemagne s’avisait autrefois de lire un manuscrit de Frédégaire ou du moine de Saint-Gall, i ! pouvait s’écrier : Ah, le menteur ! mais il s’en tenait là ; personne ne relevait l’ignorance et l’absurdité du moine : il était cité dans les siècles suivants ; il devenait une autorité ; et dom Paiinart rapportait son témoignage dans ses Actes sincères. C’est ainsi que toutes les légendes du moyen âge sont remplies des plus ridicules fables ; et l’histoire ancienne assurément n’en est pas exempte.

1. Discours de réception, prononcé à l’Académie française le 22 janvier 17G7.

2. l^yrrlionisme de l’histoire, chap. wii.