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242 KPlTRi : DÉDICATOIRE

un air de Aérité assez éloigné des lieux communs et de l’emphase que vous réprouvez.

Le jeune auteur, en y travaillant sous mes yeux, il y a un mois, dans une petite ville, loin de tout secours, n’était soutenu que par Tidée qu’il traAaillait ])our vous plaire.

Ut caiicrol paucis ignnto in pulvere vorum ’.

Il n’a point ambitionné de donner cette pièce au théâtre. Il sait très-bien qu’elle n’est qu’une esquisse ; mais les portraits ressemblent : c’est pourquoi il ne la présente qu’aux hommes instruits. Il me disait d’ailleurs que le succès au théâtre dépend entièrement d’un acteur ou d’une actrice ; mais qu’à la lecture il ne dépend que de l’arrêt équitable et sévère d’un juge et d’un écrivain tel que vous. Il sait qu’un homme de goût ne tolère aujourd’hui ni déclamation ampoulée de rhétorique, ni fade déclaration d’amour à ma ])rincesse, encore moins ces insipides barbaries en style visigoth, (pii déchirent l’oreille sans jamais parler à la raison et au sentiment, deux choses qu’il ne faut jamais séparer.

11 désespérait de parvenir à être aussi correct que l’Académie l’exige, et aussi intéressant que les loges le désirent. Il ne se dissimulait pas les difficultés de construire une pièce d’intrigue et de caractère, et la difficulté encore plus grande de l’écrire en vers. Car enfin, monsieur, les vers, dans les langues modernes, étant privés de cette mesure harmonieuse des deux seules belles langues de l’antiquité, il faut avouer que notre poésie ne peut se soutenir que par la pureté continue du style,

\ous répétions souvent ensemble ces deux vers de Boileau, qui doivent être la règle de tout homme qui parle ou qui écrit-,

Sans la langue, en un mot, l’auleur le plus divin Est toujours, quoi qu’il fasse, un méchant écrivain ;

et nous entendions par les défauts du langage non-seulement les solécismes et les barbarismes dont le théâtre a été infecté, mais l’obscurité, l’impropriété, l’insuffisance, l’exagération, la sécheresse, la dureté, la bassesse, l’enflure, l’incohérence des expressions. Quiconque n’a pas évité continuellement tous ces écueils ne sera jamais compté parmi nos poètes.

i. Lucain, Pharsale, IX, 377.

2. Art poétique, I, 101-62.