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Tous mes soins sont trahis ; ma raison, ma bonté,
Ont en vain combattu contre la cruauté ;
En vain, bravant des lois la triste barbarie,
Au sein de ses foyers je rendais Astérie ;
L’humanité plaintive, implorant mes secours,
Du fer déjà levé défendait ses beaux jours ;
Mon cœur s’abandonnait à cette pure joie
D’arracher aux tyrans leur innocente proie :
Datame a tout détruit.

Dictime.

Datame a tout détruit.Comment ? Quels attentats ?

Teucer.

Ah ! Les sauvages mœurs ne s’adoucissent pas !
Datame…

Dictime.

Datame…Quelle est donc sa fatale imprudence !

Teucer.

Il payera de sa tête une telle insolence.
Lui, s’attaquer à moi ! Tandis que ma bonté
Ne veillait, ne s’armait que pour sa sûreté ;
Lorsque déjà ma garde, à mon ordre attentive,
Allait loin de ce temple enlever la captive,
Suivi de tous les siens il fond sur mes soldats.
Quel est donc ce complot que je ne connais pas ?
Étaient-ils contre moi tous deux d’intelligence ?
Était-ce là le prix qu’on dût à ma clémence ?
J’y cours ; le téméraire, en sa fougue emporté,
Ose lever sur moi son bras ensanglanté :
Je le presse, il succombe, il est pris avec elle.
Ils périront : voilà tout le fruit de mon zèle ;
Je faisais deux ingrats. Il est trop dangereux
De vouloir quelquefois sauver des malheureux.
J’avais trop de bonté pour un peuple farouche
Qu’aucun frein ne retient, qu’aucun respect ne touche,
Et dont je dois surtout à jamais me venger.
Où ma compassion m’allait-elle engager !
Je trahissais mon sang, je risquais ma couronne ;
Et pour qui ?

Dictime.

Et pour qui ?Je me rends, et je les abandonne.
Si leur faute est commune, ils doivent l’expier ;
S’ils sont tous deux ingrats, il les faut oublier.