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Jupiter veut le sang de la jeune captive
Qu’en nos derniers combats on prit sur cette rive.
On la croit de Cydon. Ces peuples odieux,
Ennemis de nos lois, et proscrits par nos dieux,

    chœurs, tout y fut employé ; et ces hymnes étaient les propres cantiques de ces mêmes infortunés que nous y traînons, et que nous appelons nos pères et nos maîtres.
    Ce sacrifice n’avait nul rapport à la jurisprudence humaine ; car assurément ce n’était pas un crime contre la société de manger, dans sa maison, les portes bien fermées, d’un agneau cuit avec des laitues amères, le 14 de la lune de mars. Il est clair qu’en cela on ne fait de mal à personne ; mais on péchait contre Dieu, qui avait aboli cette ancienne cérémonie par l’organe de ses nouveaux ministres.
    On voulait donc venger Dieu, en brûlant ces Juifs entre un autel et une chaire de vérité dressés exprès dans la place publique. L’Espagne bénira dans les siècle à venir celui qui a émoussé le couteau sacré et sacrilège de l’Inquisition [Aranda]. Un temps viendra enfin où l’Espagne aura peine à croire que l’inquisition ait existé.
    Plusieurs moralistes ont regardé la mort de Jean Hus et de Jérôme de Prague comme le plus pompeux sacrifice qu’on ait jamais fait sur la terre. Les deux victimes furent conduites au bûcher solennel par un électeur palatin et par un électeur de Brandebourg : quatre-vingts princes ou seigneurs de l’empire y assistèrent. L’empereur Sigismond brillait au milieu d’eux, comme le soleil au milieu des astres, selon l’expression d’un savant prélat allemand. Des cardinaux, vêtus de longues robes traînantes, teintes en pourpre, rebrassées d’hermine, couverts d’un immense chapeau aussi de pourpre, auquel pendaient quinze houppes d’or, siégeaient sur la même ligne que l’empereur, au-dessus de tous les princes. Une foule d’évêques et d’abbés étaient au-dessous, ayant sur leurs têtes de hautes mitres étincelantes de pierres précieuses. Quatre cents docteurs, sur un banc plus bas, tenaient des livres a la main : vis-à-vis on voyait vingt-sept ambassadeurs de toutes les couronnes de l’Europe, avec tout leur cortège. Seize mille gentilshommes remplissaient les gradins hors de rang, destinés pour les curieux.
    Dans l’arène de ce vaste cirque étaient placés cinq cents joueurs d’instruments qui se faisaient entendre alternativement avec la psalmodie. Dix-huit mille prêtres de tous les pays de l’Europe écoutaient cette harmonie, et sept cent dix-huit courtisanes magnifiquement parées, entremêlées avec eux (quelques auteurs disent dix-huit cents), composaient le plus beau spectacle que l’esprit humain ait jamais imaginé.
    Ce fut dans cette auguste assemblée qu’on brûla Jean et Jérôme en l’honneur du même Jésus-Christ qui ramenait la brebis égarée sur ses épaules ; et les flammes, en s’élevant, dit un auteur du temps, allèrent réjouir le ciel empyrée.
    Il faut avouer, après un tel spectacle, que lorsque le Picard Jean Chauvin offrit le sacrifice de l’Espagnol Michel Servet, dans une pile de fagots verts, c’était donner les marionnettes après l’opéra.
    Tous ceux qui ont immolé ainsi d’autres hommes, pour avoir eu des opinions contraires aux leurs, n’ont pu certainement les sacrifier qu’a Dieu.
    Que Polyeucte et Néarque, animés d’un zèle indiscret, aillent troubler une fête qu’on célèbre pour la prospérité de l’empereur ; qu’ils brisent les autels, les statues, dont les débris écrasent les femmes et les enfants, ils ne sont coupables qu’envers les hommes qu’ils ont pu tuer ; et quand ou les condamne à mort, ce n’est qu’un acte de justice humaine : mais quand il ne s’agit que de punir des dogmes erronés, des propositions mal sonnantes, c’est un véritable sacrifice à la Divinité.
    On pourrait encore regarder comme un sacrifice notre Saint-Barthélemy, dont