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L’holocauste attendu, que notre loi commande.
De sept ans en sept ans[1] nous devons en offrande
Une jeune captive aux mânes des héros ;
Ainsi dans ses décrets nous l’ordonna Minos,

  1. Le but de cette tragédie est de prouver qu’il faut abolir une loi quand elle est injuste.
    L’histoire ancienne, c’est-à-dire la fable, a dit depuis longtemps que ce grand législateur Minos, propre fils de Jupiter, et tant loué par le divin Platon avait institué des sacrifices de sang humain.
    Ce bon et sage législateur immolait tous les ans sept jeunes Athéniens ; du moins Virgile le dit [Æn. VI], 20-22] :

    In foribus lethum Androgei tum pendere pœnas
    Cecropidæ jussi (miserum) septena quotannis
    Corpora natorum…

    Ce qui est aujourd’hui moins rare qu’un tel sacrifice, c’est qu’il y a vingt opinions différentes de nos profonds scoliastes sur le nombre des victimes, et sur le temps où elles étaient sacrifiées au monstre prétendu, connu sous le nom de Minotaure, monstre qui était évidemment le petit-fils du sage Minos.
    Quel qu’ait été le fondement de cette fable, il est très-vraisemblable qu’on immolait des hommes en Crète comme dans tant d’autres contrées. Sanchoniathon, cité par Eusèbe (Préparation évangélique, liv. I), prétend que cet acte de religion fut institué de temps immémorial. Ce Sanchoniathon vivait longtemps avant l’époque où l’on place Moïse, et huit cents ans après Thaut, l’un des législateurs de l’Égypte, dont les Grecs firent depuis le premier Mercure.
    Voici les paroles de Sanchoniathon, traduites par Philon de Biblos, rapportées par Eusèbe :
    « Chez les anciens, dans les grandes calamités, les chefs de l’Etat achetaient le salut du peuple en immolant aux dieux vengeurs les plus chers de leurs enfants. Iloüs (ou Chronos, selon les Grecs, ou Saturne, que les Phéniciens appellent Israël, et qui fut depuis placé dans le ciel) sacrifia ainsi son propre f‍ils dans un grand danger où se trouvait la république. Ce fils s’appelait Jeüd ; il l’avait eu d’une f‍ille nommée Annobret, et ce nom de Jeüd signif‍ie en phénicien premier-né. »
    Telle est la première offrande à l’Être éternel, dont la mémoire soit restée parmi les hommes ; et cette première offrande est un parricide.
    Il est difficile de savoir précisément si les Brachmanes avaient cette coutume avant les peuples de Phénicie et de Syrie ; mais il est malheureusement certain que, dans l’Inde, ces sacrifices sont de la plus haute antiquité, et qu’ils n’y sont pas encore abolis de nos jours, malgré les efforts des Mahométans.
    Les Anglais, les Hollandais, les Français, qui ont déserté leur pays pour aller commercer et s’égorger dans ces beaux climats, ont vu très-souvent de jeunes veuves riches et belles se précipiter par dévotion sur le bûcher de leurs maris, en repoussant leurs enfants qui leur tendaient les bras, et qui les conjuraient de vivre pour eux. C’est ce que la femme de l’amiral Roussel vit, il n’y a pas longtemps, sur les bords du Gange.

    Tantum religio potuit suadere malorum.
    Luc. I, 102.

    Les Égyptiens ne manquaient pas de jeter en cérémonie une fille dans le Nil, quand ils craignaient que ce fleuve ne parvint pas à la hauteur nécessaire.
    Cette horrible coutume dura jusqu’au règne de Ptolémée Lagus ; elle est pro-