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Ont vu d’un œil tranquille égorger Polixène[1].
Ils redoutaient Calchas ; ils tremblent à mes yeux
Sous un Calchas nouveau, plus implacable qu’eux.
Tel est l’aveuglement dont la Grèce est frappée :
Elle est encor barbare[2] ; et de son sang trempée,
À des dieux destructeurs elle offre ses enfants :
Ses fables sont nos lois, ses dieux sont nos tyrans.
Thèbes, Mycène, Argos, vivront dans la mémoire ;

  1. Les poètes et les historiens disent qu’on immola Polixène aux mânes d’Achille ; et Homère décrit le divin Achille sacrifiant de sa main douze citoyens troyens aux mânes de Patrocle. C’est à peu près l’histoire des premiers barbares que nous avons trouvés dans l’Amérique septentrionale. Il paraît, par tout ce qu’on nous raconte des anciens temps de la Grèce, que ses habitants n’étaient que des sauvages superstitieux et sanguinaires, chez lesquels il y eut quelques bardes qui chantèrent des dieux ridicules et des guerriers très-grossiers vivant de rapine ; mais ces bardes étalèrent des images frappantes et sublimes qui subjuguent toute l’imagination. (Note de Voltaire.)
  2. Il faut bien que les peuples d’Occident, à commencer par les Grecs, fussent des barbares du temps de la guerre de Troie. Euripide, dans un fragment qui nous est resté de la tragédie des Crétois, dit que, dans leur île, les prêtres mangeaient de la chair crue aux fêtes nocturnes de Bacchus. On sait d’ailleurs que, dans plusieurs de ces antiques orgies, Bacchus était surnommé mangeur de chair crue.
    Mais ce n’était pas seulement dans l’usage de cette nourriture que consistait alors la barbarie grecque. Il ne faut qu’ouvrir les poëmes d’Homère pour voir combien les mœurs étaient féroces.
    C’est d’abord un grand roi qui refuse avec outrage de rendre à un prêtre sa fille dont ce prêtre apportait la rançon. C’est Achille qui traite ce roi de lâche et de chien. Diomède blesse Vénus et Mars qui revenaient d’Éthiopie, où ils avaient soupé avec tous les dieux. Jupiter, qui a déjà pendu sa femme une fois, la menace de la pendre encore. Agamemnon dit aux Grecs assemblés que Jupiter machine contre lui la plus noire des perfidies. Si les dieux sont perfides, que doivent être les hommes ?
    Et que dirons-nous de la générosité d’Achille envers Hector ? Achille invulnérable, à qui les dieux ont fait une armure défensive très-inutile ; Achille, secondé par Minerve, dont Platon fit depuis le Logos divin, le verbe ; Achille qui ne tue Hector que parce que la Sagesse, fille de Jupiter, le Logos, a trompé ce héros par le plus infâme mensonge et par le plus abominable prestige ; Achille enfin, ayant tué si aisément, pour tout exploit, le pieux Hector, ce prince mourant prie son vainqueur de rendre son corps sanglant a ses parents ; Achille lui répond : « Je
    voudrais te hacher par morceaux, et te manger tout cru. » Cela pourrait justifier les prêtres crétois, s’ils n’étaient pas faits pour servir d’exemple.
    Achille ne s’en tient pas là : il perce les talons d’Hector, y passe une lanière et le traîne ainsi par les pieds dans la campagne. Homère ne dormait pas quand il chantait ces exploits de cannibales ; il avait la fièvre chaude, et les Grecs étaient atteints de la rage.
    Voilà pourtant ce qu’on est convenu d’admirer de l’Euphrate au mont Atlas, parce que ces horreurs absurdes furent célébrées dans une langue harmonieuse, qui devint la langue universelle. (Note de Voltaire.)