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FRAGMENT D’UNE LETTRE^

Je n’ai jamais cru (jue la traf^édie dût être à l’eau-rose. L’élingue on dialogues, intitulée Bhrnicr, à laquelle M’"*" Henriette d’Angleterre lit travailler Corneille et Racine, était indigne du tliéûtre tragique : aussi Corneille n’en fit cju’un ouvrage ridicule ; et ce grand maître Racine eut beaucoup de peine, avec tous les charmes de sa diction éloquente, à sauver la stérile petitesse du sujet. J’ai toujourâ regardé la famille d’Atrée, depuis Pélops jusqu’à Iphigénie, comme l’atelier où l’on a drt forger les poignards de Alelpomène. Il lui faut des passions furieuses, de grands crimes, des remords violents. Je ne la voudrais ni fadement amoureuse, ni raisonneuse. Si elle n’est pas terrible, si elle ne transporte pas nos âmes, elle m’est insipide.

Je n’ai jamais conçu comment ces Romains-, qui devaient être si bien instruits par la poétique d’Horace, ont pu parvenir à faire de la tragédie d’Atrée et de ïhyeste une déclamation si plate et si fastidieuse. J’aime mieux l’horreur dont Crébillon a leinpli sa pièce.

Cette horreur aurait fort réussi sans quatre défauts qu’on lui a reprochés. Le pi’omier, c’est la rage qu’un homme montre de se venger d’une ollense qu’on lui a faite il y a vingt ans. Nous ne nous intéressons à de telles fureurs, nous ne les pardonnons, que quand elles sont excitées par une injure récente qui doit troubler l’Ame de l’offensé, et qui émeut la notre.

Le second, c’est qu’un homme qui, au premier acte, médite une action détestable, et qui, sans aucune intrigue, sans obstacle, et sans danger, l’exécute au cinquième, est beaucoup plus froid encore qu’il n’est horrible. Et quand il mangerait le fils de son

1. C’est le titre de ce morceau dans toutes les éditions, même les premières. Mais ce n’est qu’une préface pour les Pélopides. Je ne connais aucune lettre de Voltaire dont il ait fait partie. (B.)

2. La pièce de Scnèque est intitulée Tliyestes. (D.)