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De votre hymen rend la chaîne odieuse ?
J’en suis fâché… Vous deviez être heureuse.

ACANTHE.

Ah ! je le suis un moment, monseigneur,
En vous parlant, en vous ouvrant mon cœur ;
Mais tant d’audace est-elle ici permise ?

LE MARQUIS.

Ne craignez rien, parlez avec franchise ;
Tous vos secrets seront en sûreté.

ACANTHE.

Qui douterait de votre probité ?
Pardonnez donc à ma plainte importune.
Ce mariage aurait fait ma fortune,
Je le sais bien ; et j’avouerai surtout
Que c’est trop tard expliquer mon dégoût ;
Que, dans les champs élevée et nourrie,
Je ne dois point dédaigner une vie
Qui sous vos lois me retient pour jamais,
Et qui m’est chère encor par vos bienfaits.
Mais, après tout, Mathurin, le village,
Ces paysans, leurs mœurs et leur langage,
Ne m’ont jamais inspiré tant d’horreur ;
De mon esprit c’est une injuste erreur ;
Je la combats, mais elle a l’avantage.
En frémissant je fais ce mariage.

LE MARQUIS, approchant son fauteuil.

Mais vous n’avez pas tort.

ACANTHE, à genoux.

Mais vous n’avez pas tort. J’ose à genoux
Vous demander, non pas un autre époux,
Non d’autres nœuds, tous me seraient horribles ;
Mais que je puisse avoir des jours paisibles :
Le premier bien serait votre bonté,
Et le second de tous, la liberté.

LE MARQUIS, la relevant avec empressement.

Eh ! relevez-vous donc… Que tout m’étonne
Dans vos desseins, et dans votre personne,

(Ils s’approchent.)


Dans vos discours, si nobles, si touchants,
Qui ne sont point le langage des champs !
Je l’avouerai, vous ne paraissez faite
Pour Mathurin ni pour cette retraite.