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LE VIEIL ARZÉMON

Seigneurs, écoutez-moi…
Il vous souvient des jours de carnage et d’effroi,
Où de votre empereur l’impitoyable armée
Fit périr les Persans dans Émesse enflammée.

IRADAN

S’il m’en souvient, grands dieux !

CÉSÈNE

Oui ; nos fatales mains
N’accomplirent que trop ces ordres inhumains.

IRADAN

Émesse fut détruite, et j’en frémis encore.
Servais-tu parmi nous ?

LE VIEIL ARZÉMON

Non, seigneur, et j’abhorre
Ce mercenaire usage, et ces hommes cruels
Gagés pour se baigner dans le sang des mortels.
Dans d’utiles travaux coulant ma vie obscure,
Je n’ai point par le meurtre offensé la nature.
Je naquis vers Émesse, et, depuis soixante ans,
Mes innocentes mains ont cultivé mes champs.
Je sais qu’en cette ville un hymen bien funeste
Vous engagea tous deux.

CÉSÈNE

Ô sort que je déteste !
De nos malheurs secrets qui t’a si bien instruit ?

LE VIEIL ARZÉMON

Je les sais mieux que vous ; ils m’ont ici conduit.
Vous aviez deux enfants dans Émesse embrasée :
La mère de l’un deux y périt écrasée :
Et l’autre sut tromper, par un heureux effort,
Le glaive des Romains, et la flamme, et la mort.

CÉSÈNE

Et qui des deux vivait ?

IRADAN

Et qui des deux respire ?

LE VIEIL ARZÉMON

Hélas ! vous saurez tout : je dois d’abord vous dire
Qu’arrachant ces enfants au glaive meurtrier
Cette mère échappa par un obscur sentier ;
Qu’ayant des deux États parcouru la frontière,
Le sort la conduisit sous mon humble chaumière.