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Mais ces juges altiers contestent à ma place
Le droit de pardonner, le droit de faire grâce.

CÉSÈNE

Ah ! Laissons cette place et ces hommes pervers.
Sachez que je vivrais dans le fond des déserts
Du travail de mes mains, chez un peuple sauvage,
Plutôt que de ramper dans ce dur esclavage.

IRADAN

Cent fois, dans les chagrins dont je me sens presser,
A ces honneurs honteux j’ai voulu renoncer ;
Et, foulant à mes pieds la crainte et l’espérance,
Vivre dans la retraite et dans l’indépendance ;
Mais j’y craindrais encor les yeux des délateurs :
Rien n’échappe aux soupçons de nos accusateurs.
Hélas ! Vous savez trop qu’en nos courses premières
On nous vit des Persans habiter les frontières ;
Dans les remparts d’Émesse un lien dangereux,
Un hymen clandestin nous enchaîna tous deux :
Ce nœud saint par lui-même est par nos lois impie,
C’est un crime d’État que la mort seule expie ;
Et contre les Persans César envenimé
Nous punirait tous deux d’avoir jadis aimé.

CÉSÈNE

Nous le mériterions. Pourquoi, malgré nos chaînes,
Avons-nous combattu sous les aigles romaines ?
Triste sort d’un soldat ! docile meurtrier,
Il détruit sa patrie et son propre foyer
Sur un ordre émané d’un préfet du prétoire ;
Il vend le sang humain ! c’est donc là de la gloire !
Nos homicides bras, gagés par l’empereur,
Dans des lieux trop chéris ont porté leur fureur.
Qui sait si, dans Émesse abandonnée aux flammes,
Nous n’avons pas frappé nos enfants et nos femmes ?
Nous étions commandés pour la destruction ;
Le feu consuma tout ; je vis notre maison,
Nos foyers enterrés dans la perte commune.
Je ne regrette point une faible fortune ;
Mais nos femmes, hélas nos enfants au berceau !
Ma fille, votre fils, sans vie et sans tombeau !
César nous rendra-t-il ces biens inestimables ?
C’est de l’avoir servi que nous sommes coupables ;
C’est d’avoir obéi quand il fallut marcher,