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DISCOURS HISTORIQUE ET CRITIQUE. 499

servir de sauvegarde contre ses ennemis, que la vie de cet enfant doit être son plus cher objet après la sienne propre : mais l’auteur a l’adresse de ne pas présenter cette vérité aux yeux ; il la déguise ; il inspire de l’horreur pour Athalie, qu’il représente comme ayant égorgé tous ses petits-fils, quoique ce massacre ne soit nullement vraisemblable. Il suppose que Joas a échappé au carnage ; dès lors le spectateur est alarmé et attendri. Un vrai poète, tel que Racine, est, si je l’ose dire, comme un dieu qui tient les cœurs des hommes dans sa main. Le potier qui donne à son gré des formes à l’argile n’est qu’une faible image du grand poète qui tourne comme il veut nos idées et nos passions. »

Tel fut à peu près l’entretien que j’eus autrefois avec milord Cornsbury, l’un des meilleurs esprits qu’ait produits la Grande- Bretagne.

Je reviens à présent à la tragédie des Gucbrcs, que je suis bien loin de comparer à VAthalic pour la beauté du style, pour la simplicité de la conduite, pour la majesté du sujet, pour les ressources de l’art.

Athalie a d’ailleurs un avantage que rien ne peut compenser, celui d’être fondée sur une religion qui était alors la seule véritable, et qui n’a été, comme on sait, remplacée que par la nôtre. Les noms seuls d’Israël, de David, de Salomon, de Juda, de Benjamin, impriment sur cette tragédie je ne sais quelle horreur religieuse qui saisit un grand nombre de spectateurs. On rappelle dans la pièce tous les prodiges sacrés dont Dieu honora son peuple juif sous les descendants de David : Achab puni ; les chiens qui lèchent son sang, suivant la prédiction d’Élie, et suivant le psaume 67 ^ : Les chiens Ihcheront leur sang…

Élie annonce qu’il ne pleuvra de trois ans ; il prouve à quatre cent cinquante prophètes du roi Achab qu’ils sont de faux prophètes, en faisant consommer son holocauste d’un bœuf par le feu du ciel ; et il fait égorger les quatre cent cinquante prophètes qui n’ont pu opérer un pareil miracle : tous ces grands signes de la puissance divine sont retracés pompeusement dans la tragédie cVAthalie dès la première scène. Le pontife Joad lui-même prophétise, et déclare que l’or sera changé en plomb. Tout le sublime de l’histoire juive est répandu dans la pièce depuis le premier vers jusqu’au dernier.

La tragédie des Guèbres ne peut être appuyée par ces secours

•1. Verset 2i.