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Scène III

Ninon, Gourville L’Aîné, Lisette, Picard
GOURVILLE L’AÎNÉ., vêtu plus régulièrement, mieux coiffé, et l’air plus honnête.

Vous me voyez, madame, après d’étranges crises,
Bien sot et bien confus de toutes mes bêtises :
Je ne mérite pas votre excès de bonté,
Dont, tout en plaisantant, mon frère m’a flatté.
Hélas ! j’avais voulu, dans ma mélancolie,
Et dans les visions de ma sombre folie,
Me séparer de vous, et donner la maison
Que vos propres bienfaits ont mise sous mon nom.

NINON.

Tout est raccommodé. J’avais pris mes mesures,
Tout va bien.

GOURVILLE L’AÎNÉ.

Vous pourriez pardonner tant d’injures !
J’étais coupable et sot.

NINON.

Ah ! Vos yeux sont ouverts ;
Vous démêlez enfin ces esprits de travers,
Ces cagots insolents, ces sombres rigoristes[1],
Qui pensent être bons quand ils ne sont que tristes,
Et ces autres fripons, n’ayant ni feu ni lieu,
Qui volent dans la poche en vous parlant de Dieu ;
Ces escrocs recueillis, et leurs plates bigotes
Sans foi, sans probités[2], plus méchantes que sottes.
Allez, les gens du monde ont cent fois plus de sens,
D’honneur et de vertu, comme plus d’agréments.

GOURVILLE L’AÎNÉ.

Vous en êtes la preuve.

NINON.

Ainsi la politesse
Déjà dans votre esprit succède à la rudesse ;
Je vous vois dans le train de la conversion
Vous deviendrez aimable, et j’en suis caution.
Mais comment trouvez-vous ce grave personnage

  1. Dans la version première, il y avait dévots au lieu de cagots. (G. A.)
  2. Dans la même version, on lisait piété au lieu de probité. (G. A.)