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trois ou quatre cabaretiers, ce qui serait aujourd’hui insupportable.

Nous donnons seulement cette pièce comme un monument très singulier, dans lequel on retrouve mot pour mot ce que pensait Ninon sur la probité et sur l’amour. Voici ce qu’en dit l’abbé de Châteauneuf, page 119 :

« Comme le premier usage qu’elle a fait de sa raison a été de s’affranchir des erreurs vulgaires, elle a compris de bonne heure qu’il ne peut y avoir qu’une même morale pour les hommes et pour les femmes. Suivant cette maxime, qui a toujours fait la règle de sa conduite, il n’y a ni exemple ni coutume qui pût lui faire excuser en elle la fausseté, l’indiscrétion, la malignité, l’envie, et tous les autres défauts, qui, pour être ordinaires aux femmes, ne blessent pas moins les premiers devoirs de la société.

« Mais ce principe, qui lui fait ainsi juger des passions selon ce qu’elles sont en elles-mêmes, l’engage aussi, par une suite nécessaire, à ne les pas condamner plus sévèrement dans l’un que dans l’autre sexe. C’est pour cela, par exemple, qu’elle n’a jamais pu respecter l’autorité de l’opinion dans l’injustice qu’ont les hommes de tirer vanité de la même passion à laquelle ils attachent la honte des femmes, jusqu’à en faire leur plus grand, ou plutôt leur unique crime, de la même manière qu’on réduit aussi leurs vertus à une seule, et que la probité, qui comprend toutes les autres, est une qualification aussi inusitée à leur égard que si elles n’avaient aucun droit d’y prétendre. »

Ce caractère est précisément le même qu’on retrouve dans la pièce, et ces traits nous ont paru suffire pour rendre l’ouvrage précieux à tous les amateurs des singularités de notre littérature, et surtout à ceux qui cherchent avec avidité tout ce qui concerne une personne aussi singulière que Mlle Ninon Lenclos. Le lecteur est seulement prié de faire attention que ce n’est pas la Ninon de vingt ans, mais la Ninon de quarante.