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Pour la cueillir façonna de sa main :
Elle fera l’honneur de ton jardin.
Qn’importe un nom ? Chaque père, à sa guise.
Donne des noms aux enfants qu’on baptise.
Acanthe a pris son nom de son parrain,
Comme le tien te nomma Mathurin.

MATHURIN.

Acanthe vient du grec ?

LE BAILLIF.

Acanthe vient du grec ?Chose certaine.

MATHURIN.

Et Mathurin, d’où vient-il ?

LE BAILLIF.

Et Mathurin, d’où vient-il ? Ah ! qu’il vienne
De Picardie ou d’Artois, un savant
À ces noms-là s’arrête rarement.
Tu n’as point de nom, toi ; ce n’est qu’aux belles
D’en avoir un, car il faut parler d’elles.

MATHURIN.

Je ne sais, mais ce nom grec me déplaît.
Maître, je veux qu’on soit ce que l’on est :
Ma maîtresse est villageoise, et je gage
Que ce nom-là n’est pas de mon village.
Acanthe, soit. Son vieux père Dignant
Semble accorder sa fille en rechignant ;
Et cette fille, avant d’être ma femme,
Paraît aussi rechigner dans son âme.
Oui, cette Acanthe, en un mot, cette fleur,
Si je l’en crois, me fait beaucoup d’honneur
De supporter que Mathurin la cueille.
Elle est hautaine, et dans soi se recueille.
Me parle peu, fait de moi peu de cas ;
Et, quand je parle, elle n’écoute pas :
Et n’eût été Berthe, sa belle-mère,
Qui haut la main régente son vieux père,
Ce mariage, en mon chef résolu,
N’aurait été, je crois, jamais conclu.

LE BAILLIF.

Il l’est enfin, et de manière exacte :
Chez ses parents je t’en dresserai l’acte ;
Car si je suis le magister d’ici,
Je suis baillif, je suis notaire aussi ;