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Scène IV.

CASSANDRE, SOSTÈNE, dans le péristyle.
Cassandre.

Elle n’y sera pas, cœur barbare et sans foi.
Arrachons-la, Sostène, à ce fatal asile,
A l’espoir insolent de ce coupable habile,
Qui rit de mes remords, insulte à ma douleur,
Et tranquille et serein vient m’arracher le cœur.

Sostène.

Il séduit Statira, seigneur ; il s’autorise
Et des lois qu’il viole, et des dieux qu’il méprise.

Cassandre.

Enlevons-la, te dis-je, aux dieux que j’ai servis,
Et par qui désormais tous mes soins sont trahis,
J’accepterais la mort, je bénirais la foudre ;
Mais qu’enfin mon épouse ose ici se résoudre
À passer en un jour à cet autel fatal
De la main de Cassandre à la main d’un rival !
Tombe en cendres ce temple avant que je l’endure !
Ciel tu me pardonnais. Plus tranquille et plus pure,
Mon âme à cet espoir osait s’abandonner :
Tu m’ôtes Olympie, est-ce là pardonner ?

Sostène.

Il ne vous l’ôte point ce cœur docile et tendre,
Si soumis à vos lois, si content de se rendre,
Ne peut jusqu’à l’oubli passer en un moment.
Le cœur ne connaît point un si prompt changement.
Elle peut vous aimer sans trahir la nature.
Vos coups dans les combats portés à l’aventure
Ont versé, je l’avoue, un sang bien précieux ;
C’est un malheur pour vous que permirent les dieux.
Vous n’avez point trempé dans la mort de son père ;
Vos pleurs ont effacé tout le sang de sa mère ;
Ses malheurs sont passés, vos bienfaits sont présents.

Cassandre.

Vainement cette idée apaise mes tourments.
Ce sang de Statira, ces mânes d’Alexandre,
D’une voix trop terrible ici se font entendre.