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44 CORRESPONDANCE.

Je vous remercie du Catéchisme des souverains, production que je n’attendais pas de la plume de monsieur le landgrave de Hesse. Vous me faites trop d’honneur de m’attribuer son éducation. S’il était sorti de mon école, il ne se serait point fait catholique, et il n’aurait pas vendu ses sujets aux Anglais comme on vend du bétail pour le faire égorger. Ce dernier trait ne s’assimile point avec le caractère d’un prince qui s’érige en précepteur des souverains. La passion d’un intérêt sordide est l’unique cause de cette indigne démarche. Je plains ces pauvres Hessois, qui termineront aussi malheureusement qu’inutilement leur carrière en Amérique.

Nous avons appris également ici le déplacement de quelques ministres français. Je ne m’en étonne point. Je me représente Louis XVI comme une jeune brebis entourée de vieux loups : il sera bien heureux s’il leur échappe. Un homme qui a toute la routine du gouvernement trouverait de la besogne en France ; épié, séduit par des détours fallacieux, on lui ferait faire des faux pas : il est donc tout simple qu’un jeune monarque sans expérience se soit laissé entraîner par le torrent des intrigues et des cabales. Mais je ne croirai jamais que la patrie de Voltaire redevienne de nos jours l’asile ou le dernier retranchement de la superstition. II y a trop de connaissances et trop d’esprit en France pour que la barbarie superstitieuse du clergé puisse commettre désormais des atrocités dont les temps passés fourmillent d’exemples. Si Hercule a dompté le lion de Némée, un fort athlète, nommé Voltaire, a écrasé sous ses pieds l’hydre du fanatisme.

La raison se développe journellement dans notre Europe ; les pays les plus slupides en ressentent les secousses. Je n’en excepte que la Pologne. Les autres Étals rougissent des bêtises où l’erreur a entraîné leurs pères : l’Autriche, la Westphalie, tous, jusqu’à la Bavière, tâchent d’attirer sur eux quelques rayons de lumière. C’est vous, ce sont vos ouvrages qui ont produit cette révolution dans les esprits. L’hélépole de la bonne plaisanterie a ruiné les remparts de la superstition, que la bonne dialectique de Bayle n’a pu abattre.

Jouissez de votre triomphe ; que votre raison domine longues années sur les esprits que vous avez éclairés ; et que le patriarche de Ferney, le coryphée de la vérité, n’oublie pas le vieux solitaire de Sans-Souci. Vale.

FÉDÉRIC

9791. — A MADAME DE SAINT-JULIEN.

A Ferney, 24 juin.

Eh bien ! madame, tandis que vous nous abandonnez, voilà Saint-Géran[1] qui nous donne dans Ferney le bal et la comédie. Il a fait bâtir une salle de spectacle très-ornée, très-bien entendue, et très-commode. Deux choses me privent de ces plaisirs : ma

  1. Voyez lettre 9770.