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42 CORRESPONDANCE.

foi de nous faire entendre qu’ils ne méritent guère qu’on aille sur le Gange pour les interroger. Pour moi, monsieur, c’est à vous seul que je prends la liberté de faire des questions. Trouvez bon que je vous demande si les noms des signes de leur zodiaque ont toujours été les mêmes ; et s’il serait vrai que les Grecs, qui voyagèrent autrefois dans l’Inde, y eussent établi peu à peu les noms et les signes que nous avons reçus d’eux. C’est un savant jésuite, nommé Pons, qui le dit dans sa lettre au Père Du Halde, tome XXVIe des Lettres curieuses[1].

Je ne conçois guère comment les brachmanes, qui étaient si jaloux de leur science, auraient reçu de quelques Grecs un zodiaque étranger qui n’était nullement convenable à leur climat : car, s’il est vrai que les Grecs eussent désigné leur première dodécatémorie par le bélier, parce que les agneaux naissaient d’ordinaire en Grèce au mois de mars ; si leur second signe avait été un taureau, parce qu’on commençait les labours au mois d’avril ; si une fille tenant en ses mains des épis de blé avait été le symbole du sixième mois, comment des Indiens, qui ne connaissaient pas le blé, auraient-ils pu adopter ces signes ?

Mais, supposé que les Indiens, regardés par les Grecs comme les précepteurs du genre humain, et chez qui ces Grecs mêmes n’avaient d’abord voyagé que pour s’instruire, eussent pourtant tenu d’eux leur zodiaque, pourquoi les brachmanes auraient-ils substitué la constellation du chien à la constellation grecque du bélier ? Je vous demanderais encore s’il n’est pas vrai que la mythologie indienne soit l’origine de toutes les mythologies de notre hémisphère, et si on ne doit pas être convaincu après avoir lu M. Holwell et M. Dow ? Le gouverneur de la compagnie des Indes d’Angleterre, que je vis à Ferney l’année passée, m’assura que tout ce que ces deux Anglais avaient écrit était très-vrai. Je vous demande pardon, monsieur, de vous faire des questions si frivoles ; mais votre bonté m’a encouragé.

J’ai l’honneur d’être avec l’estime la plus respectueuse, monsieur, votre, etc.[2].

  1. Lettres édifiantes et curieuses écrites des Missions étrangères, 1707-1776, trente-quatre volumes in-l2. 11 y a des éditions postérieures.
  2. Une lettre du comte de Vergennes à Voltaire, à la date du 14 juin 1776, est signalée dans un catalogue d’autographes avec cette mention : « Belle lettre où il lui marque son estime et sa considération. »