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40 CORRESPONDANCE.

ne fallait pas laisser dire qu’il s’en allait pour n’avoir pu faire le bien, mais annoncer qu’on l’avait renvoyé parce qu’il n’était pas propre à sa place. Voilà les intrigues de M. de Maurepas auprès du roi ; voici maintenant ce qu’il a voulu montrer au public.

Le comte de Guines a été accusé par son secrétaire d’avoir joué dans les fonds publics à Londres, et de l’avoir ensuite désavoué pour se dispenser de payer. Sa réponse est que, sachant la paix faite, il n’aurait pu jouer qu’à jeu sûr. Mais elle ne vaut rien ; il est prouvé au roi, à M. de Maurepas et aux ministres, que M. de Guines ne savait rien de la négociation relative à cette paix, et que lorsque le chargé d’affaires lui en rendait compte par pure politesse, il le communiquait à tort ; il est prouvé qu’il ne savait pas la négociation finie lorsqu’il a joué. Le comte de Guines est donc coupable. Mais la reine, que l’on n’en a pas instruite, et qui le croit victime de M. d'Aiguillon, le protège. M. de Maurepas a déterminé le roi à faire M. de Guines duc, malgré ce qu’il en savait, et il l’a été apprendre à la reine, espérant se réconcilier avec elle ; charger auprès d’elle MM. Turgot et Malesherbes du rappel de M. de Guines ; la charger auprès du public du renvoi de M. Turgot, en obtenir le rappel de M. d'Aiguillon, neveu de sa femme, et la consoler par là du renvoi de M. Turgot, parce que, tout en désirant son départ, elle avait trouvé cette forme indécente.

Ce beau projet n’a point réussi. M. de Maurepas comptait sur le peu d’esprit de la reine ; mais il oubliait que, n’ayant pas comme lui le bonheur d’être eunuque, elle avait un peu d’âme. Elle lui a donc refusé le retour de M. d'Aiguillon, a déchiré hautement qu’elle n’était pour rien dans le renvoi do M. Turgot, a traité M. de Maurepas avec le mépris le plus froid et le plus gai, et a répété tout haut ce qu’elle lui avait dit.

M. de Saint-Germain a témoigné la plus grande joie du renvoi de l’homme à qui il devait sa subsistance et sa place. Le motif est aussi noble que l’action. Il demandait 350,000 livres pour son établissement. M. Turgot voulait qu’en ce cas l’argenterie et les meubles passassent à son successeur ; il espère que M. de Clugny sera moins difficile. Son ordonnance est un chef d’œuvre d’hypocrisie : il la commence par déclarer que le roi ne souffrira aucun officier connu par son irréligion ou ses mauvaises mœurs. Il aurait donc fallu chasser des armées non-seulement le prince Eugène, le maréchal de Saxe, le grand Condé, le roi de Prusse, mais M. le comte de Saint-Germain lui-même. D’ailleurs il n’aurait pas dû prendre pour adjoint un coureur de filles, ni donner des régiments aux gens de la cour les plus décriés par leurs mœurs.

Le successeur de M. Turgot[1] est ce qu’on appelle un fripon, dur, emporté, ivrogne, joueur et débauché. M. de Maurepas lui a communiqué son goût pour les fermiers généraux : il a déclaré qu’il ne ferait rien qui pût leur déplaire.

A quels maitres, grands dieux ! livrez-vous l’univers !

  1. M. de Clugny.