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ANNÉE 177 5. -39

s’occuper du bien de la nation ; devenu ministre, il l’employait à prouver que le bien est impossible.

Quelques dégoûts qu’il a éprouvés ; la perte de sa considération dans le public, causée parce qu’on ne voyait sertir de son département ni lois utiles, ni réformes d’abus ; la perte de sa considération dans la magistrature, qui lui reprochait d’avoir été de l’avis du lit de justice ; la tournure de son esprit, absolument opposé à celui d’administration, et qui lui rendait sa place insupportable, tout cela le détermina à quitter.M. de Maurepas, qui n’aurait osé attaquer M. Turgot et lui, voulut profiter de sa retraite pour perdre le restaurateur de la nation et l’ami du peuple. Il s’y prit avec adresse. Il savait qu’une réforme dans la dépense de la maison du roi était nécessaire ; que sans cela, au lieu de diminuer les dettes et les impôts, il faudrait les augmenter incessamment, et que M. Turgot était prêt de présenter au roi un mémoire qui lui montrerait l’état de ses finances et la nécessité de réformer la cour, si on ne voulait ni se déshonorer par une banqueroute, ni se rendre odieux en écrasant le peuple. Il n’y aurait eu alors que deux partis : ou consentir à la réforme, ou laisser partir M. Turgot. Le roi n’aime pas le faste ; il a naturellement le sens assez droit ; son âme n’est point encore corrompue ; il est faible, mais sans passions. Il pouvait accepter le plan, et dès lors M. Turgot devenait inattaquable. Il était donc nécessaire de prévenir ce moment. M. de Maurepas imagina d’insinuer au roi de prendre M. Amelot pour ministre. Vous le connaissez : on ne lui reproche qu’une bêtise au-dessus de l’ordre commun ; mais il était aisé de prévenir cette objection. Ce projet réussit, et la réforme devenant impossible avec M. Amelot, il fallait, ou que M. Turgot quittât, ou qu’il attendit jusqu’à ce que l’impossibilité de payer sans faire des manœuvres malhonnêtes le forçât à s’en aller.

M. Turgot fut averti de l’affaire de M. Amelot : il en parla avec force ; il écrivit au roi ; il lui montra de nouveau la nécessité d’une réforme que M. Amelot ne ferait pas ; que la ruine de la nation et de la gloire du roi serait la suite de cette nomination ; que le garde des sceaux avait par ses intrigues ameuté les parlements contre l’autorité ; qu’on cherchait de toutes parts à augmenter les difficultés de faire le bien. Le roi eut la faiblesse de montrer cette lettre à M. de Maurepas. Il n’y avait plus à reculer. Il revint à ses anciennes inculpations contre M. Turgot ; il fit dire par M. d'Ogny[1], qui ouvre les lettres à la poste, que le mécontentement était général en France, et avait M. Turgot seul pour objet. Ce d’Ogny était l’ennemi personnel de M. Turgot, qui l’avait traité avec le mépris que mérite l’infamie du métier qu’il fait. D’ailleurs il sentait que si jamais M. Turgot devenait ministre prépondérant, cet odieux espionnage serait détruit.

M. Turgot était décidé à la retraite, et il ne voulait que parler au roi encore une fois : il alla chez lui le samedi, mais le roi était à la chasse ; il y retourna, mais le roi était au débotté, et il fallait l’attendre. M. Turgot remit au travail du lendemain ; mais M. de Maurepas, qui avait craint cette entrevue, fit entendre que l’on ne devait pas attendre la démission de M. Turgot, qu’il

  1. Rigoley d’Ogny ; voyez une note de la lettre 9777.