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nime de tous les hommes[1]. En un mot, je n’ai jamais discontinué de brûler mon encens au temple de Barmécide le bienfaisant. Vous savez quelle a été ma douleur lorsque j'ai su qu’il me soupçonnait de l’avoir oublié. J’ai écrit quelquefois à Mme Barmécide pour me justifier ; et, si j’étais près de mourir, j’écrirais encore.

Je vous avertis, notre chère protectrice, que je ne cesserai jamais de me plaindre à vous. Je vous demanderai toujours en grâce de bien faire voir quelle est mon innocence. Je vous importune souvent sur cet objet ; mais les passions malheureuses sont plaintives, et je vous conjure de dire à cet homme sublime qu’il a fait un infortuné. J’aurais encore quatre pages à écrire, mais je me tais.

9786. — DE M. LE MARQUIS DE CONDORCET[2].

12 juin 1776.

Mon cher et illustre maître, M. Panckoucke me met à portée de vous écrire la vérité tout entière.

Vous connaissez le comte de Maurepas, sa faiblesse, sa fiivolité, et sa jalousie contre tous les talents supérieurs.

C’était par une impulsion étrangère qu’il s’était déterminé à faire M. Turgot contrôleur général. Le caractère, la vertu, les grandes vues de M. Turgot l’étourdissaient et l’humiliaient. Tout alla cependant assez bien jusqu’au temps des émeutes[3]. Mais alors l’activité et la force d’âme que déploya M. Turgot fit, avec l’indifférence et la nullité du premier ministre, un contraste que celui-ci ne put digérer. On fit cette chanson contre lui :

Monsieur le comte, on vous demande : Si vous ne mettez le holà, Le peuple se révoltera. — Dites au peuple qu’il attende ; Il faut que j’aille à l’Opéra.

Il y avait été réellement le jour de l’émeute, et l’on savait que M. Turgot avait passé trois nuits de suite. M. Le Noir[4], espèce de valet aux gages de tous les ministères, plaisait assez à M. de Maurepas ; M. Turgot le fit renvoyer par le roi, sans en avoir prévenu l’autre. Le parlement, qui voulait augmenter les soulèvements en faisant semblant de les calmer, fut réduit au silence. On n’avait su combien cet acte était nécessaire qu’à onze heures du soir. M. Turgot partit pour Versailles ; il réveilla le roi. Le con-

  1. Le duc de Choiseul.
  2. Œuvres de Condorcet, tome Ier ; Paris, 1847.
  3. La révolte des blés en 1775.
  4. Lieutenant de police.