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Romains, nous relevons le palais Dauphin, qui était tombé, comme vous savez ; et il appartient à deux de vos vassaux qui sont sous les ordres de M. le marquis de Gouvernet votre frère ; ce sont de gros négociants de Màcon.

Tout cela est un peu romanesque. Il y avait à Lausanne une voyageuse qui passait, chez les gens qui aiment les grandes aventures, pour être la veuve du czarowitz[1] assassiné par son père Pierre Ier, héros du Nord et parricide. Cette dame, quelque temps après, n’avait été que comtesse, au lieu d’être impératrice ; ensuite on l’a intitulée présidente. A la fin, elle est venue chez nous simple conseillère : elle est veuve d’un conseiller de Rouen, nommé Fauvelles d’Hacqueville, et l’ami Racle lui bâtit une maison presque à côté du château. A peine a-t-elle conclu son marché qu’elle est partie pour l’Angleterre ou pour la Russie, après nous avoir donné parole de revenir dès que la maison serait prête. Nous avons actuellement dix-huit bâtiments commencés. Cela ressemble aux Mille et une Nuits ; et ce qui pourrait paraître encore plus fabuleux, c’est que le vieillard, qui s’est épuisé dans toutes ces facéties, n’a pas demandé le moindre secours au gouvernement pour l’établissement d’une colonie qui fait un commerce de cinq ou six cent mille francs par an, et qui fait entrer de l’argent dans le royaume. Il a imploré seulement les bontés de M. de Trudaine, pour faire paver dans Ferney deux grandes routes dont la colonie est traversée. M. de Trudaine nous a déjà accordé une partie de cette grâce, et a donné ses ordres pour le reste. Vous savez qu’il était à Ferney lorsque la fatale nouvelle arriva.

Il y a eu de grands changements dans ce monde, depuis que je suis retiré entre le mont Jura et les Alpes. Je porte toujours dans mon cœur le ver rongeur qui me déchire depuis l’aventure du grand Barmécide[2]. Je ne me console point de l’injustice que ce grand homme m’a faite en me croyant ingrat. C’est un crime affreux dont je suis incapable. J’ai toujours pensé que les places de l’aréopage ne devaient pas être vénales ; je l’ai dit cent fois, et je le redis encore plus que jamais. Cela n’a rien de commun avec la générosité de Barmécide. Je ne pouvais certainement deviner dans mes cavernes que le nouveau chef[3] d’un aréopage de passage avait le malheur d’être brouillé avec le plus magna-

  1. Voyez tome XL, page 544, et XLI, 55.
  2. Le duc de Choiseul.
  3. Turgot.