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ANNEE 1776.

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9776. — A M. L’ABBÉ SPALLANZANI[1].

A Ferney, 6 juin.

Votre lettre, du 31 de mai, ranime mes anciens goûts et mes anciennes espérances. J’avais renoncé à Thonneur de rendre des têtes à des colimaçons. J’avais la modestie de croire que je n’étais point du tout propre à faire des miracles. Je me souvenais pourtant très-bien d’avoir vu revenir des têtes aux limaces incoques que j’avais décapitées ; mais de bons naturalistes avaient bien rabattu ma vanité, en me persuadant que je n’étais qu’un maladroit, et que je n’avais coupé que des visages dont la peau revient aisément. Mais puisque vous m’assurez que vous avez coupé de vraies têtes, et qu’elles sont revenues, io ripiglio la mia confidenza, et je recommence à croire la nature capable de tout.

Ce que vous m’apprenez d’animaux morts depuis longtemps, ressuscites par vous, est assurément un plus grand miracle. Vous passez pour le meilleur observateur de l’Europe. Toutes vos expériences ont été faites avec la plus grande sagacité. Quand un homme tel que vous nous annonce qu’il a ressuscité des morts, il faut l’en croire.

Je ne sais ce que c’est que le rotifero et le tardigrado, ni comment nos naturalistes nomment ces petits animaux aquatiques ; vous les faites réellement mourir en les mettant à sec, et vous les faites revivre longtemps après, en les replongeant dans leur élément.

Après avoir fait, monsieur, des expériences si prodigieuses, vous descendez jusqu’à me demander mon sentiment sur les âmes du rotifero et du tardigrado : que devient leur âme ? est-elle immatérielle, renaît-elle ? en reprennent-ils une autre ?

Je suis en peine, monsieur, de toute âme et de la mienne ; mais il y a longtemps que je suis persuadé de la puissance immense et inconnue de l’auteur de la nature. J’ai toujours cru qu’il pouvait donner la faculté d’avoir du sentiment, des idées,

  1. Lazare Spallanzani, né à Scandiano en 1729, mort à Paris en 1799, avait écrit à Voltaire une lettre où il lui adressait quelques questions au sujet des rotifères et des tardigrades ; voyez page 47 des Éloges historiques, par Alibert, 1806, in-8o. — La lettre de Spallanzani, de Pavie, 31 mai, a été signalée dans un catalogue d’autographes avec cette mention : « Superbe lettre scientifique où il remercie Voltaire d’avoir fait bon accueil à ses chétives productions. »