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CORRESPONDANCE.

de mes tribulations, et ils goûtent en paix la consolation d’être dans votre souvenir.

J’ai mandé à M. de Thibouville[1] que je n’avais pas pu trouver dans toute la Suisse un seul de ces chiffons[2] qu’il voulait avoir. Il y en avait fort peu, et ce peu est tout dissipé. Je ne savais point qu’il eût une sœur. Il faut que je sois bien provincial ou bien étranger, et malheureusement l’un et l’autre à la fois. Si vous avez la bonté de m’écrire, mettez-moi au fait. Il m’appartient d’écrire aux cœurs affligés. Je me trouve avec eux dans mon élément.

Mais, mon cher ange, je crains de vous excéder par ma douloureuse lettre. J’apprends que La Harpe est encore plus maltraité que moi par l’éditeur de Piron. J’ai reçu une lettre bien singulière d’un homme qui signe le marquis de Morsans, et qui éclate en menaces contre La Harpe. J’ai tout lieu de soupçonner que cette lettre est de ce M. de Juvigny. Le moindre mal qu’on puisse faire, quand on reçoit de telles lettres, est de n’en faire aucun usage. Il semble que les épines que j’ai trouvées toujours dans ma carrière piquent à présent La Harpe : c’est le sort de quiconque a des talents. Pardon, mon cher ange, de vous entretenir de tant de misères ; une autre fois je vous parlerai d’un joli théâtre qu’on bâtit dans ma colonie, et où Lekain ne jouera pas devant le roi de Prusse. On me fait espérer que Mlle Sainval sera de la troupe.

Conservez-moi votre amitié, mon cher ange : c’est la seule chose que j’attende de Paris.

9770. — A MADAME DE SAINT-JULIEN.

29 mai.

J’ose me servir de ma faible main pour remercier enfin mon charmant papillon de s’être ressouvenu de son hibou. Vous êtes vraiment, madame, papillon-philosophe. Je vous rends votre titre, que vous méritez si bien. Ce n’est pas que je me flatte de vous voir voltiger dans nos déserts, et reposer vos belles ailes dans un pays dont vous avez été la protectrice et l’ornement.

Votre hibou sera toujours bien respectueusement, bien tendrement, bien tristement attaché à son brillant papillon ; mais

  1. Cette lettre manque.
  2. Les Lettres chinoises, indiennes, tartares, etc. ; voyez tome XXIX, page 451.