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ANNÉE 1776.

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ce Gilles nommé Piron[1] : on ne peut à mon âge souffrir les plaisanteries de la Foire. Je vous sais bon gré de n’être jamais descendu à la plaisanterie bouffonne. Vous avez toujours été fait pour le noble et pour l’élégant ; c’est votre caractère. La bouffonnerie l’aurait dégradé.

Nous avions besoin d’un homme tel que vous. Votre nomination fera taire la racaille des petits auteurs ; ils doivent être confondus et rentrer dans le néant.

Si vous voyez M. de Vaines, je vous supplie, mon cher confrère, de lui dire combien je m’intéresse à lui, et à quel point je suis affligé. Que dit M. d'Alembert ? où est M. de Condorcet ? aurez-vous le temps de répondre à ces questions ? Vous allez travailler à votre discours de réception, et vous vous doutez bien que je l’attends avec quelque impatience.

Je vous embrasse bien tendrement, mon très-cher confrère, et ce n’est pas pour longtemps, car je n’en peux plus. Je crois qu’à la fin je me meurs :

Supremum… quod te alloquor hoc est.

(ViRG., .£neid., lib. YI, v. -166.)

9769. — A M. LE COMTE D’ARGENTAL.

Mon cher ange, je suis pénétré de la bonté que vous avez eue de m’écrire dans les tristes circonstances où je me trouve. Je ne serai jamais bien consolé ; mais votre amitié me rend ma douleur plus supportable.

Il m’est impossible de songer actuellement à ces petits changements que vous me proposez ; cela demande une tête libre, et la mienne est bien loin de l’être. Je suis menacé de voir détruire tout ce que j’avais créé ; et, pour comble, en perdant le fruit de toutes mes peines, j’ai encore le ridicule d’avoir paru jouir d’un triomphe passager. Deux beaux colosses, à l’ombre desquels je me croyais en sûreté, tombent et m’écrasent par leur chute. Tous mes chagrins sont augmentés par l’impossibilité où je suis de vous ouvrir mon cœur de si loin. Je peux seulement vous dire que je ne suis pas tout à fait à plaindre, puisque vous m’aimez toujours.

Mon gros neveu et sa sœur ne voient qu’une très-petite partie

  1. Voyez lettres 9738 et 9741.