Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome50.djvu/30

Cette page n’a pas encore été corrigée

20

CORRESPONDANCE.

renouvelleront pas dans notre malheureax pays ? La Raison commence à se faire un parti si nombreux que ses ennemis se mettent sous les armes, et on sait combien ces armes sont dangereuses. Il faudra que cette malheureuse Raison vienne se réfugier dans vos États avec ses disciples, comme les protestants vinrent chercher un asile chez le roi votre grand-père. Depuis que je suis au monde, je n’ai vu cette Raison que persécutée ; je la laisserai sans doute dans le même état ; mais je me consolerai en me flattant quelle a un appui inébranlable dans le héros qui a dit :

Mais, quoique admirateur d’Alexandre et d’Alcide, J’eusse aimé mieux pourtant les vertus d’Aristide[1].

Je me mets aux pieds de l’Alcide et de l’Aristide de nos jours.

9768. — A M. DE LA HARPE

22 mai.

Mon cher ami, il n’y avait que votre promotion au fauteuil[2] qui pût me consoler de la perte que tous les vrais philosophes et tous les bons citoyens viennent de faire.

Vous avez, mon cher confrère, une place que vous rendrez plus considérable qu’elle ne l’est par elle-même : tant vaut l’homme, tant vaut l’Académie. Les deux bras de votre fauteuil seront ornés de Menzicof et des Barmécides. Vous avez enterré Fréron, vous étoufferez les autres insectes dans leur naissance. C’est à présent qu’il y a plaisir à être des Quarante. Votre prose est aussi bonne que vos vers. Je fais un petit recueil de toutes les feuilles que vous avez daigné insérer dans le Mercure, et je jette tout le reste au feu. C’est ainsi que je traite tous les journaux ; sans cela on aurait une bibliothèque immense de livres inutiles.

Je crois qu’on fait actuellement à Lausanne un recueil de tout ce qu’on a pu rassembler de vos ouvrages[3]. Ce sera un livre qui me sera cher, et que je lirai bien souvent.

Je n’ai point eu encore le courage de faire venir le fatras de

  1. Vers du roi de Prusse dans son Épître à mon esprit, vers 223-24.
  2. La Harpe, élu à l’Académie française à la place de Colardeau, n’y prit séance que le 20 juin.
  3. L'édition des Œuvres de M. de La Harpe, Yverdon, 1777, est en trois volumes in-8o.