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ANNÉE 1776.

grès des connaissances morales qui ont parlé aux hommes du haut des trônes, et qui ont inspiré des ministres.

Votre Altesse sérénissime sait peut-être déjà que la France vient de perdre les secours de deux ministres philosophes qui pratiquaient toutes les leçons qu’on trouve dans ce petit écrit qui m’a tant surpris. L’un est M. Turgot, qui, en moins de deux ans, avait gagné les suffrages de toute l’Europe ; l’autre est M. de Lamoignon, digne héritier d’un nom cher à la France. Ils se sont démis du ministère le même jour, et on pleure leur retraite.

Je ne sais point encore dans mes déserts quel philosophe prendra leur place, et aura la charité de nous gouverner. La sagesse d’aujourd’hui apprend non-seulement à faire du bien, mais à voir d’un œil égal les places où l’on peut faire ce bien, et le repos dans lequel on ne cultive la vertu qu’avec ses amis.

Je ne doute pas, monseigneur, que vous n’adoucissiez le poids du gouvernement par les douceurs de l’amitié. Heureux les peuples qui vous sont soumis ! heureux les hommes privilégiés qui vous approchent !

Je suis avec un profond respect, monseigneur, de Votre Altesse sérénissime, etc.

9767. — A FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.

A Ferney, 21 mai.

Sire, vous allez être étonné en jetant les yeux sur la petite brochure[1] que j’envoie à Votre Majesté : devineriez-vous qu’elle est de monsieur le landgrave de Hesse ? Son génie s’est déployé depuis qu’il est devenu votre neveu, et qu’il a lu vos ouvrages. Je ne sais pas positivement s’il avoue ce petit livre, mais je sais certainement qu’il est de lui ; c’est un tableau qu’on reconnaîtra aisément pour être d’un peintre de votre école. Vous avez fait naître un nouveau siècle, vous avez formé des hommes et des princes. Dans combien de genres votre nom n’étonnera-t-il pas la postérité !

Nous avons grand besoin que Votre Majesté philosophique règne longtemps ; nous avions chez les Welches deux ministres philosophes[2] ; les voilà tous deux à la fois exclus du ministère, et qui sait si les scènes des La Barre et des d’Étallonde ne se

  1. Pensées diverses sur les princes ; voyez la lettre précédente.
  2. Turgot et Malesherbes.