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ANNÉE 1776.

dérable, qu’après le départ de M. de Trudaine. Il a passé à Ferney quelques jours avec Mme de Trudaine et Mme d'Invau. Il ne sait pas encore que cette grande maison est tombée, et que le reste est dédaigné par vous. Je ne lui en dirai rien dans mes lettres ; il semblerait que je demanderais du secours au ministère, et assurément je suis bien loin de faire une telle indiscrétion.

Au reste, cet accident n’est pas le seul qui me soit arrivé ; il avait été précédé, il y a quelques mois, de la chute d’une maisonnette voisine. Me voilà au milieu des débris de toute espèce. J’y comprends les miens de quatre-vingt-deux ans et demi. Voilà par où il faut que tout finisse. Je souhaite au héros de Chanteloup[1] plus de bonheur dans ses palais. Son âme sera toujours plus inébranlable qu’eux. Je cours à bride abattue au dernier moment de ma vie. Je mourrai dans la rage de penser qu’il m’a cru capable d’oublier ses bontés. Cette idée désespérante me poursuit jour et nuit. Je voudrais qu’il sût qu’il n’y a personne en France plus tendrement attaché que moi à sa personne. Je l’ai toujours révéré, et j’ose dire aimé autant que j’ai détesté la vénalité des charges[2] en tout genre.

J’ignore plus que jamais ce qu’on fait et ce qu’on dit à Paris : j’ignore surtout quelles sont vos marches ; si vous allez en Bourgogne voir monsieur votre frère cette année, si vous daignerez vous souvenir de Ferney, si vous viendrez pleurer ou rire avec moi sur les ruines du château de la Tour-du-Pin. Tout ce que je sais bien, c’est que je me regarderai comme un de vos sujets, et que je vous serai toujours fidèle, soit que vous me continuiez vos bontés, soit que vous m’accabliez de votre disgrâce. Soyez papillon, soyez aigle, je serai toujours l’admirateur de vos ailes brillantes.

Le triste Hibou de Ferney.

9764. — A M. DE VAINES.

15 mai.

Ah ! mon Dieu, monsieur, quelle funeste nouvelle j’apprends[3] ! La France aurait été trop heureuse. Que deviendrons-nous ? restez-vous en place ? auriez-vous le temps de me rassurer par un


50. — Correspondance. XVIII. 2

  1. Le duc de Choiseul.
  2. Voyez une note sur la lettre 9785.
  3. La retraite de M. Turgot du ministère, le 11 mai 1776.