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ANNÉE 1778. 13

M. d'Argental s’est bien donné de garde de m’avouer les dégoûts que le tripot vous a donnés à tous deux : c’est un ministre qui ne veut pas révéler la turpitude de sa cour. Vous êtes plus confiant, mon cher Baron, et je n’y suis que plus sensible

Envoyez-moi un cœur différent du mien, si vous ne voulez plus être aimé, car j’aurai cette passion pour tout le temps qu’il me restera de vie.

Mes maladies me condamnent à vivre absolument dans la solitude ; mais si quelque voyageur passe vers ma caverne en allant à Paris, je vous enverrai par lui beaucoup de sottises. Pour Mme Denis, elle ne vous enverra rien, car elle n’écrit à personne. Personne ne vous est plus attaché que moi, monsieur le marquis : c’est un bonheur que je sens, et auquel je me livre.

9759. — A M. LE COMTE D’ARGENTAL.

A Ferney, 11 mai.

Mon cher ange, je reçois votre lettre du 2 mai ; elle est bien consolante ; tout ce qui part de vous porte ce caractère ; mais je suis bien ébaubi que vous n’ayez pas reçu un paquet qui vous a certainement été envoyé par M. de Sartines. Je ne sais que répondre à M. de Thibouville, qui m'a demandé un paquet semblable. Vous ne sauriez croire à combien de difficultés tout cela est sujet. Il y a quelque génie malin qui persécute les absents, et qui intercepte leur correspondance. Je suis bien fâché d’apprendre que M. d'Ogny, le protecteur de notre colonie, soit le proche parent de M. de Juvigny[1], que je n’ai jamais vu, et qui s’acharne contre moi d’une manière si bizarre. M. de La Harpe m’avait averti en dernier lieu de l’imposture dont vous avez la bonté de me parler. Je lui ai envoyé un billet[2] signé de ma main, dans lequel j’atteste le roi de Prusse lui-même sur la fausseté de cette imputation. J’ignore si M. de La Harpe aura pu faire insérer cette protestation dans les papiers publics : car il me semble que, depuis quelque temps, il est permis de calomnier dans les gazettes, et qu’il n’est pas permis de se justifier. Je vois surtout que les absents ont tort, et que les battus payent toujours l’amende.

Après les tentatives discrètes, mais assez fortes, auprès du roi

  1. Voyez tome XLIX. page 587, et plus loin page 29.
  2. Lettre 9739