Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome50.djvu/22

Cette page n’a pas encore été corrigée

12 CORRESPONDANCE.

estime ; il est vrai que mon âge, mes maladies, et ma retraite, ne me permettent guère de cultiver une liaison si flatteuse ; mais souffrez que je cherche, dans l’expression de mes sentiments pour vous, une consolation qui m’est nécessaire. Je crois apercevoir dans tout ce que vous écrivez quel est le charme de votre société. J’ai reçu un peu tard le présent charmant dont vous m’honorez : il n’y aurait qu’un Anacréon qui pût mériter une telle galanterie : il aurait chanté vos couplets, je puis à peine les lire, et je n’ai d’Anacréon que la vieillesse.

J’ai l’honneur d’être, monsieur, avec tous les sentiments que je vous dois, votre, etc.

97S8. — A M. LE MARQUIS DE THIBOUVILLE.

Ferney, 7 mai[1].

Mais vraiment vous parlez à un malade de quatre-vingt-trois ans comme s’il était de votre espèce, comme s’il était toujours jeune, comme s’il vivait dans le grand monde, comme s’il pouvait vous amuser dans vos moments perdus, comme si la mort, cette compagne si hideuse, ne l’avait pas déjà entraîné à moitié dans son tomheau ; enfin comme si ce n’était pas de là qu’il vous écrit. Pensez-vous, d’ailleurs, que je sois grand maître des postes ? J’avais envoyé, par M. de Sartines, à M. le comte d’Argental les insipides rogatons[2] dont vous me parlez, et M. d’Argental ne les a point reçus. On ne sait plus ni à quel ministre on peut s’adresser pour faire passer un livre, ni à quel saint il faut se vouer pour le faire. Trouvez-moi une adresse sûre, et je vous ferai tenir tout ce que vous me demanderez ; mais je ne vous enverrai rien de mieux que votre épitaphe de l’ami Fréron.

Savez-vous que j’ai reçu une lettre très-tendre d’une dame qui est sûrement parente de Fréron, si elle n’est pas sa veuve ? Elle m’avoue que ce pauvre diable est mort banqueroutier, et elle me conjure de marier sa fille, par la raison, dit-elle, que j’ai marié la petite-fille de Corneille ; elle me propose le curé de la Madeleine pour l’entremetteur de cette affaire ; ces curés se fourrent partout. J’ai répondu que si Fréron a fait le Cid et Cinna, je marierai sa fille sans difficulté[3].

  1. Beuchot a daté ces fragments du 7 mars au lieu du 7 mai.
  2. Les Lettres Chinoises, etc.
  3. Il y a ici dans Beuchot deux alinéas qui sont dans la lettre à Thibouville du 28 novembre 1774.