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CORRESPONDANCE.

Lyon. Ne me laissez point languir dans la misère, tandis que vous enrichissez Paris.

Pourriez-vous me dire si vous avez entendu parler de l’affaire d’un jeune philosophe, et par conséquent d’un jeune malheureux, nommé Delisle de Sales, auteur d’un livre intitulé De la Philosophie de la Nature ? Il a été violemment persécuté, et même décrété de prise de corps. Il y a un mauvais vent qui souffle sur la philosophie. On ne réussit, dit-on, qu’en faisant des journaux contre la tolérance, et le métier de Fréron est devenu une charge héréditaire dans l’État. Heureusement je suis loin de cette barbarie, et je vais m’en éloigner encore davantage en finissant une vie longtemps persécutée. Donnez-moi les Incas pour mon viatique, et que les Pizaro et les Almagro ne me privent point des précieuses marques de votre amité.

P. S. Pourriez-vous me dire le nom d’un homme aimable[1] qui vint me voir à Ferney il y a quatre ans ; qui avait un emploi considérable dans les fermes ; qui demeurait à l’hôtel Bretonvilliers, ou à l’hôtel Lambert ; qui était ami d’un ministre aujourd’hui disgracié ; qui vous présenta à lui ? Vous devez le connaître à toutes ces indications. Où est-il ? que fait-il ? Pardon.



9176. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Potsdam, 26 mars.

Des trois raisons qui vous ont empêché de me répondre[2], la première et la seconde sont une suite des lois de la nature ; mais la troisième est un effet de la méchanceté des hommes, qui me les ferait haïr si, par bonheur pour l’humanité, il n’y avait encore des âmes vertueuses en faveur desquelles on fait grâce à l’espèce. Mais quelle cruelle méchanceté de persécuter un vieillard, et de prendre plaisir à empoisonner les derniers jours de sa vie ! cela fait horreur, et me révolte de telle sorte contre les bourreaux tonsurés qui vous persécutent, que je les exterminerais de la face de la terre si j’en avais le pouvoir. Le pauvre Morival, qui, jeune encore, a essuyé leurs persécutions, en a eu le cœur si navré, et principalement de l’inhumanité de ses parents, qu’il a été, ces jours passés, attaqué d’apoplexie. On espère cependant qu’il s’en remettra. C’est un bon et honnête garçon qui mérite qu’on lui veuille du bien par son application et le désir qu’il a de bien faire. Je suis persuadé que vous compatirez à sa situation.

Ceux qui vous ont parlé du gouvernement français ont, ce me semble,

  1. Garville, ami du duc d’Aiguillon ; voyez tome XLVIII, page 458.
  2. Voyez lettre 9912.