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Vous savez que l’Inquisition, que le roi d’Espagne a remise en honneur et en vigueur plus que jamais, vient de faire une belle procession, plus magnifique et plus solennelle qu’elle n’avait été depuis longtemps ; que le peuple, prosterné dans les rues pendant cette belle cérémonie, criait, en se frappant la poitrine  : Viva la fe de Dios ! qu’ensuite on a publié les bulles de Paul IV et de Pie V, ces deux marauds de papes qui ont tant fait brûler d’hérétiques, et qui déclarent que tout le monde sera soumis à l’Inquisition, sans excepter le souverain. C’est dommage qu’après cette insolence cette canaille d’inquisiteurs n’ait pas donné les étrivières au roi d’Espagne, comme le pape les donna autrefois à notre Henri IV sur le dos du cardinal Du Perron, et comme les Algériens les ont données l’an passé à Sa très-fidèle Majesté catholique, qui leur avait déclaré la guerre par ordre du puant récollet son confesseur. O tempora, o mores ! Voilà, mon cher ami, le fruit des lumières que tant d’écrits ont répandues ! voilà le fruit de l’expulsion de ces gueux de jésuites, remplacés par des gueux plus insolents ! voilà où tant de princes en sont encore dans le siècle de la philosophie ! Je crois que votre ancien disciple rira bien de tant de sottises, s’il n’en est pas encore plus indigné ; et j’espère, dans quelques mois, lui entendre dire de fâcheuses vérités sur quelques-uns de ses chers confrères. En attendant, je vous recommande le prépuce de Jacob-Éphraïm Guénée, et même ce qui tient à son prépuce, et dont ce prêtre circoncis n’a sûrement que faire. Vous ne feriez pas mal aussi de recommander à votre ami Kien-long, par votre autre amie Catherine, le jésuite mandarin qui écrit tant de sottises. Pour moi, je commence à être las et honteux de toutes celles que j’entends dire, que je vois faire, et que j’ai le malheur de lire. Je serais bien tenté d’en dire et d’en faire aussi quelques-unes ; mais je m’abstiens d’être lu, de peur d’être brûlé. Savez-vous bien que je craindrais pour vous, si vous étiez à Collioure au lieu d’être à Ferney, que la sainte Hermandad ne vous fit enlever contre le droit des gens, pour vous brûler suivant toutes les règles du droit canon ? Hélas ! je ris, et je n’en ai guère envie. Il vaut mieux finir par où j’aurais dû commencer, par me taire, et vous embrasser avec douleur et tendresse.

9924. — À M. FABRY[1].
30 décembre.


Monsieur, le vieux malade de Ferney se proposait bien de vous prévenir, et de vous renouveler, en 1777, les sentiments qu’il a toujours eus pour vous depuis qu’il a choisi ce petit coin de terre pour sa patrie : vous lui avez toujours rendu cette patrie chère : vous en êtes le soutien. Toutes vos occupations sont utiles au public, et les miennes n’ont été, pendant soixante ans, que de

  1. Dans quelques éditions récentes des OEuvres de Voltaire, on trouve une lettre à de Vaines sous la date vague de Ferney, décembre. Je la supprime, parce que ce n’est qu’un composé de fragments de diverses lettres que j’ai données. (B.)