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6 CORRESPONDANCli.

9752. — A M. TURGOT.

A Ferney, 3 mai.

M. de Trudaine, votre digne ami, monseigneur, m’a fait voir un édit sur les vins qui vaut bien celui du 14 septembre[1] sur les blés. Ces deux pièces, véritablement éloquentes, puisque la raison et le bien public y parlent à chaque ligne, n’ont qu’à se joindre à l’édit de la caisse de Poissy, et la France est sûre de faire bonne chère. Les aloyaux, que les Anglais appellent rost beef, valent bien la poule au pot. Je crois bien que le parlement de Bordeaux sera un peu fâché, mais le parlement de Toulouse sera fort aise.

M. de Trudaine est témoin des transports de joie que vous avez causés dans tous les pays qui nous environnent. Nous voyons naître le siècle d’or ; mais il est bien ridicule qu’il y ait tant de gens du siècle de fer dans Paris. On m’assure, pour ma consolation, que vous pouvez compter sur la fermeté de Sésostris[2] ; c’était là mon plus grand souci.

Je n’ose vous supplier de me confirmer cette heureuse anecdote, dont dépend la destinée de toute une nation ; mais je vous avoue que je voudrais bien, avant de mourir, être sûr de mon fait, et pouvoir vous excepter du nombre des grands hommes dont Horace a dit[3] :

Diram qui contudit hydram,

Comperit invidiam supremo fine domari.

Quant à notre sel, monseigneur, je ne vous en importunerai plus, puisque je vois que vous n’oubliez rien.

Quant à la dame Lobreau[4], il est clair que son argent est tout aussi bon que celui des épiciers qui veulent donner la comédie sans avoir d’acteurs.

Quisque suam exerceat artem[5].

Pour votre pari, il est

Quum lot sustineas et tanta negocia solus[6].

  1. C’est-à-dire celui du 13 septembre 1774, à l’occasion duquel Voltaire publia un Petit Écrit : voyez tome XXIX, page 343.
  2. Louis XVI ; voyez tome X, page 68.
  3. Livre II, épitre i, vers 10 et 12.
  4. Directrice du théâtre de Lyon.
  5. Horace, livre I, épitre xiv, vers derniers.
  6. Horace, livre II, épitre i, vers 1.