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ANNÉE 177 6. 5

bientôt des lettres de vicaire apostolique en Chine. Dès qu’il fut vicaire-apôtre, il crut savoir mieux le chinois que l’empereur Kang-hi.

Il manda au pape Clément XI que l’empereur et les jésuites étaient des hérétiques. L’empereur se contenta de le faire conduire en prison à Macao. On a écrit que les jésuites l’empoisonnèrent. Mais, avant que le poison eût opéré, il eut, dit-on, le crédit d’obtenir une barrette du pape. Les Chinois ne savent guère ce que c’est qu’une barrette. Maillard mourut dès que sa barrette fut arrivée. Voilà l’histoire tidèle de cette facétie. L’éditeur suppose que Ganganelli était assez ignorant pour n’en rien savoir.

Enfin, celui qui emprunte le nom du pape Ganganelli pousse son zèle jusqu’à dire, dans sa lettre cinquante-huitième, à un bailli de la république de Saint-Martin : « Je ne vous enverrai plus le livre que vous vouliez avoir. C’est une production tout à fait informe, mal traduite du français, et qui pullule d’erreurs contre la morale et contre le dogme. On n’y parle que d’humanité : car c’est aujourd’hui le beau mot qu’on a finement substitué à celui de charité, parce que l’humanité n’est qu’une vertu païenne. La philosophie moderne ne veut plus de ce qui tient à la religion chrétienne. »

Vous remarquerez soigneusement que si notre pape craint le mot d’humanité, le roi très-chrétien s’en sert hardiment dans son édit du 12 avril 1776, par lequel il fait distribuer gratis des remèdes à tous les malades de son royaume ; l’édit commence ainsi : « Sa Majesté voulant désormais, pour le besoin de l’humanité, etc. »

Monsieur l’éditeur peut être inhumain sur le papier tant qu’il voudra ; mais il permettra que nos rois et nos ministres soient humains. Il est clair qu’il s’est étrangement mépris ; et c’est ce qui arrive à tous ces messieurs qui donnent ainsi leurs productions sous des noms respectables. C’est l’écueil où ont échoué tous les faiseurs de testaments. C’est surtout à quoi on reconnut Boisguilbert, qui osa imprimer sa Dixme royale sous le nom du maréchal de Vauban. Tels furent les auteurs des Mémoires de Verdac, de Montbrun, de Pontis, et de tant d’autres.

Je crois le faux Ganganelli démasqué. Il s’est fait pape ; je l’ai déposé. S’il veut m’excommunier, il est bien le maître.