Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome50.djvu/14

Cette page n’a pas encore été corrigée

4 CORRESPONDANCE.

et que Bayle n’a fait aucun ouvrage nommément sur un sujet si respectable.

L’éditeur, dans une lettre à un abbé Lamy, fait dire à son prête-nom Ganganelli que « l’âme est la plus grande merveille de l’univers, selon les paroles du Dante ». Un pape ou un cordelier pourrait à toute force citer le Dante, afin de paraître homme de lettres ; mais il n’y a pas un vers de cet étrange poëte, le Dante, qui dise ce qu’on lui attribue ici.

Dans une autre lettre à une dame vénitienne, Ganganelli s’amuse à réfuter Locke, c’est-à-dire que monsieur l’éditeur, très-supérieur à Locke, se donne le plaisir de le censurer sous le nom d’un pape.

Dans une lettre au cardinal Quirini, monsieur l’éditeur s’exprime ainsi : « Votre Éminence, qui aime beaucoup les Français, leur aura sûrement pardonné leurs gentillesses, quoique ce soit au détriment de la dignité. Il n’y a pas de mal que, dans tous les siècles pris collectivement, il y ait des étincelles, des flammes, des lis, des bluets, des pluies, des rosées, des fleuves, des ruisseaux. Cela peint parfaitement la nature ; et, pour bien juger de l’univers et des temps, il faut réunir les différents points de vue et n’en faire qu’un seul optique. »

De bonne foi, croyez-vous que le pape ait écrit ce fatras en français contre les Français ?

N’est-il pas plaisant que, dans la lettre cent onzième, Ganganelli, devenu récemment cardinal, dise : « Nous ne sommes pas cardinaux pour en imposer par notre faste, mais pour être colonnes du saint-siège. Tout, jusqu’à notre habit rouge, nous rappelle que, jusqu’à l'effusion de notre sang, nous devons tout employer pour venir au secours de la religion. Quand je vois le cardinal de Tournon voler aux extrémités du monde pour y faire prêcher la vérité sans aucune altération, ce magnifique exemple m’enflamme, et je suis prêt à tout entreprendre, »

Ne semble-t-il point, par ce passage, qu’un cardinal de Tournon quitta les délices de Rome, en 1706, pour aller prêcher l’empereur de la Chine et pour être martyrisé ? Le fait est qu’un prêtre savoyard, nommé Maillard[1] élevé à Rome dans le collège de la Propagande, fut envoyé à la Chine, en 170G, par le pape Clément XI, pour rendre compte à la congrégation de cette Propagande de la dispute des jacobins et des jésuites sur deux mots de la langue chinoise. Maillard prit le nom de Tournon. Il eut

  1. Voyez tome XV, page 79.