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2 CORRESPONDANCE.

Nous avons eu depuis les testaments du duc de Lorraine, de Colbert, de Louvois, d’Albéroni, du maréchal de Belle-Isle, de Mandrin :

Parmi tant de liéros je n’ose me placer[1] ;

mais vous savez que l’avocat Marchand a fait mon testament, dans lequel il a eu la discrétion de ne pas même insérer un legs pour lui.

Vous avez vu les lettres de la reine Christine, de Ninon, de Mme de Pompadour, de Mlle du Tron à son amant le révérend Père de La Chaise, confesseur de Louis XIV. Voici donc aujourd’hui les Lettres du pape Ganganelli[2]. Elles sont en français, quoiqu’il n’ait jamais écrit en cette langue. Il faut que Ganganelli ait eu incognito le don des langues dans le cours de sa vie. Ces lettres sont entièrement dans le goût français. Les expressions, les tours, les pensées, les mots à la mode, tout est français. Elles ont été imprimées en France ; l’éditeur est un Français né auprès de Tours, qui a pris un nom en i, et qui a déjà publié des ouvrages français sous des noms supposés.

Si cet éditeur avait traduit de véritables lettres du pape Clément XIV en français, il aurait déposé les originaux dans quelque bibliothèque publique. On est en droit de lui dire ce qu’on dit autrefois à l’abbé Nodot[3] : « Montrez-nous votre manuscrit de Pétrone trouvé à Belgrade, ou consentez à n’être cru de personne. Il est aussi faux que vous ayez entre les mains la véritable satire de Pétrone qu’il est faux que cette ancienne satire fût l’ouvrage d’un consul et le tableau de la conduite de Néron. Cessez de vouloir tromper les savants ; on ne trompe que le peuple. »

Quand on donna la comédie de l’Écossaise, sous le nom de Guillaume Vadé et de Jérôme Carré, le public sentit tout d’un coup la plaisanterie, et n’exigea pas des preuves juridiques ; mais quand on compromet le nom d’un pape dont la cendre est encore chaude, il faut se mettre au-dessus de tout soupçon : il faut montrer à tout le sacré collège des lettres signées Ganganelli ; il faut les déposer dans la bibliothèque du Vatican, avec les attestations de tous ceux qui auront reconnu l’écriture ; sans quoi on

  1. Britannicus, acte I, scène ii.
  2. Les Lettres intéressantes du pape Clément XIV, traduites de l’italien et du latin, 177."), trois volumes in-12, ont été composées en français par Louis-Antoine Caraccioli, né à Paris en 1721, mort en 1803.
  3. Voyez tome XIV, page 111.