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ÉPITRE À LA DUCHESSE DU MAINE. 81

Jours jeux publics, et qui ne savent pas que cette magnificence même enrichissait Athènes, en attirant dans son sein une foule d’étrangers qui venaient l’admirer, et prendre chez elle des leçons de vertu et d’éloquence.

Vous engageâtes, madame, cet homme d’un esprit presque universel à traduire, avec une fidélité pleine d’élégance et de force, VIphiyrnic en Taunde d’Euripide. On la représenta dans une fête qu’il eut l’honneur de donner à Votre Altesse Sérénissime, fête digne de celle qui la recevait, et de celui qui en faisait les honneurs : vous y représentiez Iphigénio. Je fus témoin de ce spectacle : je n’avais alors nulle habitude de notre théâtre français ; il ne m’entra pas dans la tête qu’on pût mêler de la galanterie dans ce sujet tragique : je me livrai aux mœurs et aux coutumes de la Grèce d’autant plus aisément qu’à peine j’en connaissais d’autres ; j’admirai fantique dans toute sa nohle simplicité. Ce fut là ce qui me donna la première idée de faire la tragédie d’OEdipe, sans même avoir lu celle de Corneille. Je commençai par m’essayer, en traduisant la fameuse scène de Sophocle, qui contient la double confidence de Jocaste et d’OEdipe. Je la lus à quelques-uns de mes amis qui fréquentaient les spectacles, et à quelques acteurs : ils m’assurèrent que ce morceau ne pourrait jamais réussir en France ; ils m’exhortèrent à lire Corneille qui l’avait soigneusement évité, et me dirent tous que si je ne mettais, à son exemple, une intrigue amoureuse dans Œdipe, les comédiens même ne pourraient pas se charger de mon ouvrage. Je lus donc VŒdipe de Corneille qui, sans être mis au rang de Cinna et de Polijcuctc, avait pourtant alors beaucoup de réputation. J’avoue que je fus révolté d’un bout à l’autre ; mais il fallut céder à l’exemple et à la mauvaise coutume. J’introduisis, au milieu de la terreur de ce chef d’œuvre de l’antiquité, non pas une intrigue d’amour, l’idée m’en paraissait trop choquante, mais au moins le ressouvenir, d’une passion éteinte. Je ne répéterai point ce que j’ai dit ailleurs sur ce sujet’.

Votre Altesse Sérénissime se souvient que j’eus l’honneur de lire Œdipe devant elle. La scène de Sophocle ne fut assurément pas condamnée à ce tribunal ; mais vous, et M. le cardinal de Polignac, et. M. de Malézieu, et tout ce qui composait votre cour, vous me blâmâtes universellement, et avec très-grande raison, d’avoir prononcé le mot d’amour dans un ouvrage où Sophocle avait si

i. Voyez, dans Idi Correspondance, la lettre au P. Porée, du 7 janvier 1730, qui avait été imprimée dès 1748.

V. — Thé ATRE. IV. 6